Un panel d'universitaires d'Europe, du Maghreb et du Moyen-Orient ont débattu, pendant trois jours, à l'université d'Anvers, en Belgique, de la nécessité de mettre en place des modalités d'intégration des musulmans dans l'espace européen dans le cadre du dialogue interreligieux. Les faits d'abord : l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir dans certains pays d'Europe comme le Danemark, l'interdiction des minarets en Suisse, conséquence d'une votation populaire, le débat sur l'identité en France avec en point d'orgue l'interdiction de la burqa, puis le verdict d'Angela Merckel concluant récemment à l'échec du modèle d'intégration allemand. Autant d'événements factuels qui sont l'expression d'une islamophobie patente d'un Vieux Continent face au défi du “vivre ensemble” et de l'interculturalité. C'est du moins ainsi que ces faits sont décryptés par les participants au colloque international organisé la semaine dernière par l'Institut Avicenne des sciences humaines de la ville d'Anvers en Belgique en collaboration avec l'Institut pour les études marocaines et méditerranéennes (iMaMS). Venus d'Europe, du Maghreb, du Moyen-Orient, les participants à ce colloque œcuménique (puisqu'il y a eu présence des représentants des cultes chrétien, juif et bouddhiste) ont réfléchi sur la nécessité d'une “articulation” à trouver entre les musulmans citoyens européens, issus de l'émigration et la nouvelle Europe en proie aux démons de la méfiance, du rejet et de l'hostilité, sentiments exacerbés par les attaques du 11 septembre. “Islam et modernité”, “Islam et la femme”, “Islam et démocratie” des problématiques majeures qui ont été abordées par les intervenants. Asma Beldi, universitaire belge, a préconisé dans son intervention, le passage de la notion d'identité, “restrictive et stigmatisante”, de son point de vue vers la notion d'identification qui n'est pas “figée” et qui est surtout “inhérente au devenir”. Pour cette universitaire, “la citoyenneté n'est pas antinomique de l'interculturalité plurielle, ce monde de l'entre-deux, cet interstice qui appelle au dialogue”. Et de conclure, en rejetant la thèse de Huntington sur le choc des civilisations que “la diversité n'est pas un danger, n'est pas une maladie, je suis ce que l'Islam a fait de moi”. Rachid Benzine, universitaire français, pose la question de savoir s'il faut “opposer ou conjuguer l'islam et la modernité”. Pour lui, modernité et Islam sont deux processus qui se rejoignent au niveau de leur historicité. Donc compatibles. Selon lui, le dialogue interreligieux se pose aussi en termes de nécessité pour l'Islam “de prendre en compte la pensée juive et chrétienne”. Le Dr Abdelkabir Madaghri Alaoui, ex-ministre marocain du Culte, s'en prendra dans son intervention aux médias occidentaux et leur tendance à réduire l'islam à des clichés, comme la femme en burqa, la violence. Cette approche médiatique de l'Islam dans les médias européens témoigne, selon lui, d'une islamophobie qui n'est pas de nature à favoriser une intégration des musulmans. Cet ancien ministre, tout en révélant que les musulmans d'Europe représentent une population de 50 millions, déplore que ce poids démographique ne transparaisse pas dans les médias pour donner une image autre de l'Islam. C'est dans la même veine que se situe l'intervention du Dr Samir Fadhel de l'Organisation islamique du Nord (pays nordiques). Il est revenu sur les images blasphématoires du Prophète. “Nous payons les frais du 11 septembre”, explique-t-il en pointant “la provocation” qui caractérise ces dessins. Cet universitaire déplore néanmoins la réaction dans les pays musulmans, à travers les manifestations de violence, comme le fait de brûler les drapeaux du Danemark, d'incendier les ambassades occidentales. “Ce type de réactions émotionnelles les conforte dans leur vision d'un islam violent”, dit-il, en préconisant la devise du Prophète “khatibhoum bi alati hiya ahsan”. Car pour cet universitaire, “l'Europe a besoin de connaître le Prophète qui est loin de l'image qu'on en a donné dans les médias”. Fouzia Achmaoui, enseignante dans une université suisse, s'intéressera dans son intervention à l'image de l'Islam et des musulmans dans les manuels scolaires, suite à une étude réalisée sous l'égide d'une institution européenne. Comme pour les médias, on y retrouve des clichés réducteurs. “Islam et musulmans égal civilisation islamique par opposition aux pays laïcs. Le fondateur de l'Islam est présenté comme un conquérant, poète, auteur du Coran dont la mission est de propager une nouvelle religion. Le Coran est associé exclusivement au Prophète Mohamed et non pas à Dieu. Les musulmans sont représentés comme des envahisseurs redoutables”, relève cette enseignante, qui fait une comparaison avec la représentation des deux autres religions. “Un fidèle devant le mur des Lamentations pour la religion juive, la vierge Marie tenant dans ses bras le jeune Jésus, pour la religion chrétienne et un grand et gras barbu avec un couteau en train d'égorger un mouton pour l'islam”. D'autres intervenants, au cours de ce colloque, ont mis l'accent sur le fait que les musulmans d'Europe ont le souci de partager le destin des citoyens de ce continent, s'inscrire pleinement dans la dynamique de son développement, dans le cadre du “vivre ensemble” mais tout en revendiquant le respect de leur “référentiel convictionnel”. Le colloque, qui s'est tenu aussi dans le cadre de la présidence de l'UE par la Belgique, s'est achevé par la Déclaration d'Anvers dans laquelle les participants ont appelé à une refondation des rapports entre musulmans et non musulmans d'Europe en favorisant l'intercompréhension, la confiance, la coexistence. Les signataires de la déclaration ont également recommandé le dépassement de “la vision passéiste” des musulmans “d'autant que leur réalité a connu une mutation qui ne se réduit pas à une croissance numérique. Il y a une nouvelle génération fière de son appartenance à l'Europe et sa contribution positive dans les domaines économiques, politiques, académiques tout en revendiquant son identité religieuse et sa personnalité culturelle”.