Elle a consacré toute sa vie au cinéma et au théâtre. La non-reconnaissance et l'ingratitude ont été ses deux récompenses. Oubliée, mise à l'écart, son étoile n'a pas cessé de briller. Morte à l'âge de 94 ans des suites d'une longue maladie, Keltoum demeure notre star nationale. La nouvelle est tombée ce matin. Keltoum (de son vrai nom Aïcha Ajouri) n'est plus. Premières images, premiers souvenirs : les rôles qu'elle campa dans les différentes distributions, qu'elles soient cinématographiques ou théâtrales. Une expression déterminée, un regard profond. La défunte a été la première Algérienne à monter les marches du Festival de Cannes en 1966, lors de la présentation du grand chef-d'œuvre le Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina, qui remporta le prix de la première œuvre. C'est elle aussi qui ouvrit la voie de la scène à toutes les femmes de sa génération. Originaire de la ville des Roses (Blida), cette grande figure de la culture algérienne a été attirée, dès son jeune âge, par la danse et le théâtre. C'est dans ce dernier domaine qu'elle excella le plus, où le public découvrit une comédienne à la hauteur des rôles qu'elle jouait, mais surtout une femme sensible. En 1935, Mahieddine Bachtarzi la découvrit à Blida et lui offrit sa chance. Malgré les préjugés de l'époque sur les artistes, elle n'hésita pas à le suivre, faisant fi de la désapprobation de sa famille. Ce qui lui importait, c'était d'assouvir ce désir de monter sur les tréteaux. Ses débuts furent couronnés par une tournée en France et en Belgique. À Nice, elle dansa devant 20 000 personnes au jardin Albert 1er. Son art de comédienne, elle le dévoila lors de la tournée au Maroc, affirmant et confirmant son talent. S'ensuivirent des créations de nombreuses pièces de théâtre. Elle collabora avec Bachtarzi, Rachid Ksentini et Habib Réda. En 1947, un nouveau virage dans sa carrière de comédienne : l'aventure de la première saison Arabe de l'Opéra d'Alger. À partir de là, tous les principaux rôles féminins lui firent confiés, qu'il s'agisse de comédie ou de tragédie. Après le théâtre et la radio (radiodiffusion en langue arabe), le cinéma lui ouvre ses portes avec le film la Septième porte, d'André Swobada. Si sa carrière professionnelle connaissait un grand succès, sa vie privée ne fut pas du tout rose. Au moment de signer d'autres contrats, elle dut freiner ses activités, à cause d'un incident qui a failli lui coûter la vie. Elle ne reprendra du service qu'en 1952 avec la pièce Othello de Shakespeare. En 1956, une autre trêve. La reprise eut lieu en 1963 avec le TNA jusqu'à sa retraite. Son premier grand rôle dans le cinéma elle le doit à Mohamed Lakhdar Hamina, le Vent des Aurès, où elle interpréta magistralement le rôle d'une mère à la recherche de son fils raflé par l'armée française pendant la guerre. Tout au long de sa carrière, elle côtoya les grands noms du théâtre et du cinéma algérien. À son actif, plus de soixante-dix pièces de théâtre, une vingtaine de films et cinq disques avant 1962 (elle arrêta la chanson à la naissance de son fils aîné en 1954). En 1987, à huit jours de la générale de la pièce la Mort d'un commis voyageur, de Fouzia Aït El-Hadj, Keltoum est mise à la retraite. Une décision qui l'affecta énormément. Son retour sur scène on le doit à Rouiched qui a su la convaincre de jouer dans El Bouwaboune (les concierges). Celle qui a passé 50 ans dans le théâtre et 13 ans avec sa famille a été victime de l'indifférence et de l'oubli. En mars dernier, l'association Lumières lui a rendu un vibrant hommage. Hier au TNA, où sa dépouille a été exposée, une foule nombreuse — anonymes et professionnels — est venue lui rendre un dernier hommage. Parmi les présents, Khalida Toumi, ministre de la Cultre, Zahira Yahi, Farida Saboundji, Bahia Rachdi, Fouzia Aït El-Hadj, Ahmed Rachdi… Elle a été inhumée au cimetière El Alia, après la prière d'El Asr. Comme les grandes stars, Keltoum est partie en silence. On gardera d'elle l'image de cette mère courage, forte et sensible à la fois. Paix à son âme !