L'approvisionnement du marché algérien en produits de large consommation connaît, depuis quelque temps, voire quelques années, des perturbations se traduisant par des pénuries récurrentes. Les tensions qui caractérisent actuellement la filière laitière sont la parfaite illustration de l'anarchie qui règne au niveau du marché et de l'incapacité des pouvoirs publics à apporter des réponses convaincantes. Certains transformateurs de lait, pour leur part, attirés par le gain facile, n'hésitent pas à dévier une grande partie des quantités de poudre de lait, subventionnée par l'Etat et destinée à produire des sachets de lait à 12 DA, au profit des catégories sociales les plus vulnérables, pour l'utiliser dans la fabrication des fromages, yaourts et autres dérivés laitiers — produits beaucoup plus rentables en termes de marge bénéficiaire. Dans ce bras de force entre transformateurs laitiers et pouvoirs publics, à travers l'Office interprofessionnel du lait (Onil), comme ce fut le cas pour la pomme de terre ou encore, récemment, pour les médicaments, les citoyens assistent, incrédules, à une partition musicale qui se joue en dehors d'eux ; pire, contre eux. Il y a comme une jonction de fait entre les forces de la spéculation qui agissent dans l'import-import dans d'autres filières de produits de large consommation que celle du lait et certains producteurs-transformateurs locaux, tentés par le gain facile, pour saper toute action de régulation du marché par la puissance publique. Au demeurant, certains observateurs attribuent ces dysfonctionnements aux dernières mesures de sauvegarde de l'économie nationale, prises dans le cadre des lois de finances complémentaires au titre des années 2009-2010. Il s'agirait, selon ces mêmes observateurs, de la mise en place du crédit documentaire et des restrictions opérées dans le volume des importations. Ces deux mesures auraient donc généré des ruptures dans l'approvisionnement régulier du marché. S'il y a une part de vérité objective dans ces explications, il ne serait pas infondé, non plus, d'entrevoir une hypothèse différente, et de nature politique celle-là. Les forces de la spéculation et du gain illicite, tapies dans l'ombre, ou bénéficiant de complicités, peuvent, effectivement, êtres tentées de saborder les récentes décisions de l'Exécutif qui n'arrangent pas leurs intérêts en orchestrant et en organisant des pénuries volontaires. Leur objectif est de discréditer ces décisions aux yeux des citoyens et d'agiter le spectre des pénuries des années 1970, quand bien même le produit est disponible, comme l'affirme le président de l'Onil dans une interview accordée à un quotidien national : “La pénurie de lait n'a aucune relation avec la disponibilité de la matière première. Jamais il n'y a eu de réduction de quotas de la poudre de lait.” Et de s'interroger : “Il est nécessaire de savoir où va la poudre de lait, nous voulons aller plus loin pour lutter contre le phénomène de rétention et de spéculation de la poudre de lait.” Cette hypothèse paraît vraisemblable du fait de la persistance chronique des effets pervers de l'inadéquation entre l'offre et la demande au niveau du marché (renchérissement des prix des fruits et légumes, pénurie de lait, de certains médicaments…), en dépit de la volonté affichée des pouvoirs publics de combattre ce phénomène et des mesures effectivement prises à cet effet, sans que pour autant les objectifs fixés aient été atteints. Une telle situation nous renvoie, nécessairement, au rôle et aux missions de régulation de l'Etat, dans ses actions de prévention des dérives éventuelles que peuvent générer les mécanismes de fonctionnement autonome du marché. Selon le dictionnaire Wikipedia, encyclopédie fondée par Jimmy Wales, la régulation de l'économie est définie comme : “Son organisation forcée par les autorités publiques pour garantir son fonctionnement optimal… et permet de corriger les instabilités du marché.” Ce sont des pratiques économiques usitées par de nombreux pays à économie de marché. S'agissant de l'Algérie, les pouvoirs publics ont mis en place, en juillet 2008, un système de régulation des produits de large consommation et de lutte contre la spéculation dénommé Syrpalac. Ce système a également pour objectif la réhabilitation des anciennes infrastructures de stockage des ex-offices de l'agriculture (Ofla/Opsa) et de mettre en place un large réseau national couvrant toutes les filières (lait, céréales, viande…). Pour le ministre de l'Agriculture, avec ce système, “ce sont les intervenants et les maillons constituant l'ensemble de la chaîne de l'agriculture passant par les circuits de commercialisation jusqu'au consommateur qui en seront bénéficiaires”. En vérité, nous sommes dans une phase de transition vers une économie de marché où la liberté d'entreprendre et de commercer doit, à l'instar des pays libéraux, être régulée, encadrée et “moralisée” pour faire triompher les forces de la production sur celles de la spéculation.