Des milliers d'Ivoiriens se sont réfugiés au Liberia voisin en dépit de la fermeture des frontières par le président autoproclamé, par crainte de violences dans leur pays en proie à une grave crise politique dont la caricature est la présence de deux présidents. Le second tour de l'élection présidentielle ivoirienne du 28 novembre a débouché sur une grave crise dans le pays où le président sortant, Laurent Gbagbo, et son adversaire, Alassane Ouattara, revendiquent la victoire et se disent chacun président : le sortant a été installé par un Conseil constitutionnel à sa dévotion et un nouveau président décrété gagnant par la commission électorale indépendante, le jour même, et il est reconnu par la communauté internationale : l'ONU, l'UA et l'UE. Une situation sans précédent en Afrique que l'on savait malade de ses régimes et de leurs élections. L'UA, dont les missions de développement et d'intégration sont, en fin de compte éclipsées par ses urgentes tâches de pompier, a dépêché à Abidjan l'ex-président sud-africain Thabo M'beki, en “mission d'urgence” pour tenter de trouver une issue à la grave crise postélectorale en Côte d'Ivoire. M'beki a déjà consulté les deux protagonistes, les exhortant de faire preuve de retenue alors que le climat de forte tension risque de dégénérer d'une heure à l'autre. L'Union africaine avait annoncé samedi l'avoir envoyé en “mission d'urgence” pour “trouver une solution légitime et pacifique à la crise”. L'appel de l'UA à un arrangement pacifique sera-t-il entendu ? Ironie de l'histoire : c'est sous la pression de M'beki, alors médiateur, que Gbagbo avait validé en 2005 la candidature présidentielle de l'ex-Premier ministre Ouattara, dont l'exclusion pour “nationalité douteuse” du scrutin de 2000 est toujours au cœur de la crise ivoirienne. La crise politico-militaire en Côte d'Ivoire a commencé le 19 septembre 2002. Des soldats rebelles venus du Burkina Faso tentent de prendre le contrôle des villes d'Abidjan, Bouaké et Korhogo. Ils échouent dans leur tentative de prendre Abidjan mais parviennent à occuper les deux autres villes, respectivement dans le centre et le nord du pays. La rébellion, qui prendra plus tard le nom de Forces nouvelles, occupe progressivement la moitié nord du pays, le coupant ainsi en deux zones géographiques distinctes : le Sud, tenu par les Forces armées nationales de la Côte d'Ivoire (Fanci) et le Nord, tenu par les Forces armées des Forces nouvelles (Fafn). Gbagbo tient son fief du Sud, d'où il exalte l'ivoirité et le nationalisme pour barrer la route à son rival du Nord, Ouattara, et solder la présence française dans l'espoir de remplacer l'ancienne puissance coloniale par les Etats-Unis. Sa femme Simone est proche de l'Eglise pentecôtiste américaine. Bien qu'une solution se profilât en janvier 2003 avec la signature de l'accord de Linas-Marcoussis, la crise reprend en novembre 2004 lorsque Gbagbo a remis en cause toutes les avancées obtenues. Une promesse de règlement final se dessine enfin avec la signature de l'Accord politique d'Ouagadougou le 4 mars 2007, prévoyant des élections libres et transparentes. Il a fallu trois années pour les tenir et au bout du compte, les Ivoiriens se retrouvent dans l'impasse après avoir pourtant voté dans la sérénité. Les ingrédients de la crise sont présents, de même que ses protagonistes. La Côte d'Ivoire court le risque d'une guerre civile. Un signe pas trompeur : les Etats-Unis ont appelé les Américains à éviter tout voyage en Côte d'Ivoire en évoquant “une probabilité accrue de troubles politiques et de potentielles violences”.