Nous vivons une période critique de grandes mutations qui exigent anticipation et proactivité. Ceux qui avaient anticipé une sortie de crise en double creux, soit en U allongé, soit en W ont été confortés dans leurs anticipations. Néanmoins, une reprise qui s'est révélée être à fort contenu budgétaire s'est manifestée alors que de nouveaux périls se profilaient à l'horizon avec la crise de la dette souveraine en Europe et le ralentissement de l'économie américaine au second semestre. Ces Etats se sont sévèrement endettés et continuent à traîner comme un boulet leur déficit budgétaire et une demande interne forte, tout ceci dans un contexte où les conditions qui ont provoqué la crise économique n'ont pas fondamentalement changé, globalisation financière, économie casino, avec en prime cette fois-ci un endettement exponentiel des Etats et une guerre larvée des monnaies. Contre toute attente, l'industrie gazière, qui avait connu en 2009 la première baisse de sa demande depuis la Seconde Guerre mondiale, a retrouvé des couleurs, tirée par la reprise. Insuffisamment pour résorber l'excès d'offre par rapport à la demande néanmoins. L'arrivée d'importants volumes de GNL sur le marché ne se ralentit pas puisque le train Qatargas 6 arrive au dernier trimestre suivi de Qatargas 7, portant la capacité de l'Emirat à 77 Mta et faisant de lui désormais le leader mondial. Mais à qui adresser ces volumes alors que le marché américain visé initialement devient autosuffisant du fait de la révolution des shale gas ? De fait, comme tous les volumes initialement adressés aux Etats-Unis, les volumes qataris vont gonfler encore la bulle gazière qui ne devrait se résorber qu'à partir de 2014-2015. Ils viseront plus spécifiquement le marché européen. Si en 2009 ils ont pu le faire sans trop de peine du fait de la baisse de 16% de la production russe, en 2010, il n'en sera pas de même et des deals sont nécessaires. La visite de Cheikh Hammad à Moscou et sa rencontre avec M. Poutine a certainement porté sur cette question et il semble sûr qu'une entente gazière entre les deux pays ait été décidée à cette occasion. Mais il fallut baisser de 50% la capacité de liquéfaction entre avril et juillet pour le Qatar et il faudra encore le faire au premier trimestre 2011. Le Qatar, qui s'est sévèrement endetté pour cela, se trouve à la tête de capacités non assises sur des contrats de vente fermes. Il restera donc un acteur-clé des marchés spot alors qu'il inaugure dans le transport du GNL une véritable révolution technologique en recourant à des méthaniers du type Q Flex de 210 000 m3 et Q Max de 265 000 m3. Il faut savoir que pendant trente ans la taille maximum était de 135 000 m3 (que le port de Skikda ne peut pas accueillir !). Ces révolutions dans le transport annoncent un changement structurel dans l'industrie gazière avec quasiment l'abolition de la notion de distance critique. Les acteurs, Qatargas comme Gazprom, qui deviennent aujourd'hui les leaders de cette industrie – nous l'étions il y a peu dans le GNL – postulent à un déploiement mondial... En fait donc, l'année 2010 pourrait être pour l'industrie du gaz une année charnière préfigurant un nouvel ordre caractérisé par des marchés de plus en plus interconnectés par le fait de l'augmentation de la taille des méthaniers, de la part des transactions spot de plus en plus importante tendanciellement et la prééminence des mécanismes boursiers dans la formation des prix. Le Qatar, allié avec des acteurs comme Exxon et Total semble jouer l'avenir, même si dans le FPEG il se résoud à un langage radical minimum. Ses volumes lui donnent désormais les moyens d'une stratégie de leader, la Russie, de son côté, met la priorité dans le développement de nouvelles capacités vers le GNL et l'est, soit les marchés asiatiques. Les réserves algériennes sont de l'ordre de 4.5 Tcm, celles du Qatar de 25 Tcm, celles de la Russie de 44 Tcm, les premières mondiales, et celles du Moyen Orient de 76 Tcm. L'Algérie, du fait de ses volumes et du ralentissement ces dernières années de son effort d'exploration doit se définir très rapidement. Elle a pour elle son expertise et son expérience incontestables dans le management de la chaîne gaz, aussi le fait qu'elle est une source fiable et la plus proche du marché européen, ce qui la rend insubstituable sur le court terme. Sa situation est néanmoins précaire. Il convient qu'elle construise en urgence des partenariats d'intégration croisée qui lui ouvriraient l'aval gazier et la génération électrique en Europe et qui impliqueraient ses clients européens dans le développement de son amont gazier très prometteur par ailleurs. Faute de cela elle risque fort, car ses contrats d'approvisionnement vers l'Europe vont arriver à échéance très bientôt, de perdre de grandes parts de marché significatives tout en se pliant à son corps défendant aux nouvelles pratiques commerciales, transactions spot et spéculation autour des prix. Pour le pétrole, la situation est totalement différente. Industrie mondiale dès sa naissance, elle aura préfiguré par son caractère oligopolistique ce que nous appelons mondialisation aujourd'hui. Peu d'acteurs se mouvant dans un théâtre d'opération global, façonnant la géographie comme la politique. Aujourd'hui les réserves s'épuisent et le marché intègre un facteur d'anticipation d'épuisement, ce qui oriente les prix en contando (tendance haussière) à long terme. À court terme, la baisse de la demande due à la crise économique tire naturellement les prix vers le bas. Le conflit entre ces deux tendances est accentué par le fait que les marchés pétroliers sont interconnectés avec les marchés financiers et subissent leurs évolutions erratiques. La crise économique agit donc doublement sur les prix et les rend de moins en moins prévisibles. Cependant, si la demande a reculé, l'offre reste forte, autant l'offre réelle présente sur les marchés que celle potentielle constituée par les capacités inutilisées de l'Opec et qui sont à près de 7 mbj et les stocks qui sont à plus de 61 jours, niveau très élevé. La baisse de la production de l'Opec de l'ordre de 4.2 mbj en 2009 a, certes, contribué significativement au redressement des prix, mais en même temps l'Opec (70% des réserves et 40% de la production) n'est jamais autant fragilisée que lorsqu'il s'agit de répartir les sacrifices. La discipline est discutable, les quotas sont respectés à seulement 60%. L'année 2010, les prix ont fluctué autour d'un pivot de 80 dollars le baril. Ils semblent tester aujourd'hui le seuil des 100 dollars. Nous avions dit dans d'autres travaux que ce seuil de 100 dollars nous semblait structurel. Il représente le niveau minimum nécessaire pour renouveler les réserves alors que l'humanité a épuisé 50% des réserves initiales de pétrole. La seconde moitié qui reste sera, bien entendu, la plus coûteuse et la plus complexe à produire. Les réserves s'épuisent au rythme de 8% l'an et le consensus des experts pense qu'il ne sera pas possible d'aller au-delà de 100 mbj, alors que l'AIE anticipe 87 mbj pour 2011. Nous sommes donc aux frontières. Le franchissement du seuil de 100 dollars en 2011 nous semble possible si les tendances de long terme l'emportent sur celles de court terme, ce qui n'est pas acquis. D'une part les capacités inutilisées de l'Opec ainsi que l'indiscipline de ses membres vont peser, d'autre part, l'effet de balancier entre prix du pétrole et dollar risque de jouer contre les prix car singulièrement beaucoup d'experts pensent que le dollar pourrait se renforcer du fait de la politique monétaire américaine mais aussi et surtout des difficultés de la zone euro qui risque de faire les frais de la guerre des monnaies. De plus si, comme nous l'appréhendons, la croissance connaît un sévère accroc, notamment aux Etats-Unis où le taux de chômage frôle les 10% et en Europe où des pays comme la France sont menacés de déflation alors que l'Espagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, le Portugal risquent de suivre le sort de l'Irlande. Dans ces conditions, il faut craindre que les prix ne dévissent sévèrement. La guerre des monnaies inquiète du fait que se profile derrière elle, comme derrière la question de la nécessaire régulation de l'économie mondiale d'ailleurs, la question du leadership de l'économie mondiale. À présent, la Chine est seconde puissance, il est sûr qu'elle passera en tête en 2030. Quels deals vont-ils être conclus avec la première puissance d'aujourd'hui ? La question devient critique si l'on considère que ces deals doivent prendre en compte la raréfaction des ressources, notamment énergétiques. À cet égard, les dernières anticipations de l'AIE me semblent avoir un caractère incantatoire, sinon thérapeutique... Tout ceci fera de cette année 2011 une année de fortes incertitudes. Autant les tendances de long terme que celles de court terme sont très fortes et difficiles à contrôler. Les producteurs convergent vers un prix d'équilibre se situant dans une fourchette de 70-90 dollars le baril. wLes pays consommateurs occidentaux souhaitent des prix plus bas alors que leurs compagnies pétrolières et parapétrolières veulent le contraire pour rentabiliser les investissements nécessaires pour faire face à la demande future. Les pays émergents, à leur tête la Chine travaillent à sécuriser leurs approvisionnements à long terme. Ce maelstrom est inquiétant certes, il est surtout riche en opportunités pour les producteurs. Il revient à notre pays de considérer que, plus que jamais, sa puissance pétrolière provient moins du niveau de ses réserves que du dynamisme, de la compétitivité de nos universités et de Sonatrach qui doit repousser plus loin les possibilités technologiques de nos gisements et aller ailleurs dans le monde explorer et produire le pétrole pour l'Algérien de demain. M. P. (*) Expert pétrolier international Président du cabinet Emergy