Ce qui était prévisible, il y a quelque temps, arriva ! Un navire marchand, battant pavillon algérien, a fait l'objet de piraterie depuis quelques jours en plein océan…. Si Al-Qaïda (AQ), qui demeure une organisation politico-militaire (OPM) transnationale en guerre, a, jusque-là, largement préféré les actions terrestres et aériennes pour ses attaques terroristes, il semble incontestable, aujourd'hui, que cette organisation considère l'espace maritime comme hautement stratégique, tant en termes d'ambition économique (piraterie, trafic) que politico-militaires. À défaut de pouvoir recourir à une économie formelle pour financer ses campagnes et actions et poursuivre ses objectifs, AQ le fait aux moyens de l'économie informelle, voire criminelle. Il s'agit particulièrement de trafics d'armes et de drogues, de trafics humains et d'enlèvements d'otages et de navires (piraterie). Pour mieux cerner la situation actuelle, il est utile de distinguer la piraterie du terrorisme maritime. Selon ma perception de la question, la motivation de la piraterie est plutôt d'ordre lucratif, elle n'a ni dimension politique ni objectifs terroristes. Cependant, les liens entre organisations terroristes et pirates sont extrêmement étroits, voire confondus. La nature de cette accointance réside dans une sorte d'interrelation latérale sur le plan matériel. Sur le plan tactique, AQ tire profit de la médiatisation des actions des pirates et inversement, les pirates se prévalent ainsi d'une justification politique dans leurs actes de piraterie. Comme en atteste un certain nombre de rapports et d'écrits, la piraterie génère un afflux de ressources financières important pouvant, de facto, alimenter certaines organisations terroristes en capitaux. L'investissement actuel d'AQ dans la piraterie maritime en Somalie est de fait incontestable. Dès la constitution d'AQ, la Somalie avait occupé une place spécifique devenue considérable dans la stratégie mondiale de l'organisation à partir des premières années de la décennie 1990, au moment où ce pays a connu le début d'un morcellement progressif. Depuis lors, nous trouvons la main d'AQ derrière les récents actes de piraterie dans le golfe d'Aden. Les documents, les correspondances secrètes et les opérations de l'organisation révèlent clairement son intérêt très particulier pour la Somalie. Ainsi en 1993, certains de ses dirigeants ont entamé un voyage dans ce pays, décrit par l'organisation comme celui du pardon. Son objectif inavoué était de créer des camps d'entraînement dans les villes de Boosaaso, Luuq et la province d'Ogaden; des camps efficaces et actifs qui pourraient être alternatifs ou parallèles à ceux installés en Afghanistan. Dès lors, AQ a essayé de maintenir un point d'appui durable en Somalie en exploitant la situation de guerre civile et la fragilité du pouvoir central de ce pays. Ses dirigeants visaient à le transformer en une plaque tournante des activités d'AQ, un refuge sûr et une base arrière de ses mouvements et ses attaques terroristes qui visent les pays voisins. Sur le terrain, cette activité, contrairement à ce qui avait été prévu, n'a pas pu prendre une ampleur importante et croissante en raison de la guerre globale contre le terrorisme. Toutefois, l'organisation a maintenu une capacité à défendre son existence, surtout après avoir réussi à établir des alliances et des accords de principe avec certains groupes armés islamistes somaliens comme celui de Shabab al Islam, issu de la scission survenue en décembre 2007 au sein du mouvement des “tribunaux islamiques”. Il est parfaitement clair que l'organisation a constaté que le maintien de ses activités en Somalie nécessite plus d'efforts, un élargissement des alliances sur le terrain et une garantie de financement afin de conserver la capacité à recruter de nouveaux membres, planifier et exécuter les opérations dans le temps et l'espace voulus. Dans ce sens, les dernières opérations de piraterie survenues notamment aux larges des côtes somaliennes peuvent constituer un nouveau point de départ pour les activités de l'organisation. Les cibles de ces opérations sont à la fois multiples et faciles à atteindre. Elles peuvent être des ports, des navires, des marchandises, des navires militaires, des navires de pétrole qui transitent de manière permanente par le golfe d'Aden et par l'océan Indien. Et pour cela, les moyens d'attaque et de soutien logistique ne manquent pas. En outre, et dans le cas où les informations révélées par les services norvégiens de renseignement se confirment, AQ posséderait déjà ou aurait sous contrôle entre 15 et 23 navires sous pavillons du Yémen, de la Somalie et du Tonga ainsi qu'un certain nombre de camps d'entraînement en plongée sous-marine. Dans ce contexte, l'appel lancé par l'organisation à ses partisans au Yémen donne une connotation stratégique à la navigation autour de la péninsule arabique étant donné l'importance du trafic maritime (en volume et en valeur) et viser ces cibles est un bon moyen de pression économique dans le contexte actuel de crise globale. Il n'est pas à exclure que la main d'AQ se trouve derrière nombre des derniers actes de piraterie. D'ailleurs, il est fort probable que le soutien apporté par l'organisation aux opérations spectaculaires des pirates somaliens soit fourni dans le but de réaliser d'énormes gains financiers. Bien qu'il n'y ait pour le moment aucune preuve tangible sur la participation directe des combattants de l'organisation dans ces opérations, l'observation des groupes armés, en général, révèle qu'ils ne laissent passer aucune opportunité pour accroître leur force et défendre leur survie. La preuve en est le trafic de drogue exercé par AQ afin de contourner le gel de ses fonds et le blocus de ses sources de financement. En conclusion, il ne serait nullement utopique de considérer que ces actes de piraterie pourraient être un prélude à une multiplication des actions de terrorisme maritime et l'apparition d'actes terroristes notamment en Méditerranée. *Expert en questions stratégiques membre du Defence & Security Forum et du NESACSS