De l'Egypte à la Jordanie en passant par le Yémen, la Révolution du Jasmin commence à toucher des régimes arabes qui se maintiennent depuis des décennies grâce au carcan de la peur. Les manifestations populaires ont gagné la plupart des pays arabes, à l'exception des monarchies pétrolières du Golfe, dont les princes savent bien qu'ils ne seront pas épargnés par la lame de fond. Encore que dans ces îlots de pétrole, Oman a eu ses instants de frayeur : un demi-millier de manifestants ont défilé à Mascate pour protester contre la cherté de la vie, un défilé modeste mais qui indique que le feu peut également prendre dans les monarchies du Golfe. Avant-hier, vendredi, la fièvre s'est propagée à l'Egypte, la Jordanie et le Yémen où les citoyens sont descendus dans la rue pour réclamer leurs droits sociaux, économiques et politiques. “C'est une dynamique qui s'est enclenchée dans le monde arabe”, se réjouit l'universitaire Bourhan Ghalioun, auteur, dès 1977, d'un “Manifeste pour la démocratie dans le monde arabe”, pour qui ce n'est plus qu'une question de temps, dès lors que les populations ont découvert à travers ce qui s'est produit en Tunisie. Les populations arabes ont réalisé qu'il fallait tout simplement briser l'étau de la peur. Les Tunisiens ont montré qu'il était possible, et avec une vitesse surprenante, de renverser un régime et que ce n'était pas si difficile qu'on pouvait l'imaginer, aussi bien dans les pays concernés qu'à l'étranger, a expliqué Ghalioun, directeur du Centre d'études sur l'Orient contemporain à Paris. L'Egypte connaît, depuis mardi, les protestations les plus importantes depuis l'arrivée au pouvoir, en 1981, du président Hosni Moubarak ; ses populations ont brisé le mur de la peur en affrontant, vendredi après la prière, les forces de police, obligeant le raïs pharaon à se réfugier à Charm el-Cheikh, la station balnéaire sur le Sinaï, frontalière d'Israël, pour concocter un répit. Il promet des réformes politiques et économiques mais le divorce est consommé. C'est dorénavant un président affaibli et sous haute surveillance. Les Egyptiens ne vont pas lâcher la pression, ils ne s'avouent pas du tout vaincus, ils jurent d'intensifier leur lutte. L'armée, de son côté, ne pourra pas être son éternel rempart, sauf à se décrédibiliser d'une population avec laquelle elle avait fraternisé vendredi. Et à l'étranger, les images de sa répression sauvage ont fait de lui un dirigeant pas fréquentable. Les Américains, à qui son régime doit en grand partie sa survivance, l'ont suffisamment averti : lui, qui était considéré, jusqu'à vendredi, comme un pôle de stabilité dans le monde arabe et une digue politique contre l'islamisme, est sous contrôle. La fièvre a gagné également le Yémen où des dizaines de milliers de personnes ont encore manifesté, vendredi, pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans, alors que les Frères musulmans de Jordanie, principale force d'opposition, ont appelé à une nouvelle manifestation vendredi. Les manifestations sont parties de Sanaâ où des étudiants ont appelé à un changement démocratique. Le gouvernement a annoncé cette semaine une augmentation des salaires. Le président Saleh a assuré qu'il ne pensait pas transmettre le pouvoir à son fils. Trop tard, en Jordanie, malgré l'annonce de nouvelles mesures sociales et la promesse par Abdallah II d'aller de l'avant dans les réformes politiques, des milliers de manifestants ont participé à des marches et sit-in à Amman appelant à la propagation de la révolution tunisienne. Au Soudan, le calme est précaire. Le 16 janvier, les partis d'opposition ont réclamé la fin du régime totalitaire du président Omar el-Béchir et demandé la démission du ministre des Finances, jugé responsable de la hausse des prix des denrées alimentaires, et la normalisation n'est pas à l'horizon. Auparavant, des heurts avaient déjà opposé la police à des étudiants protestant contre la hausse des prix et la malvie. En Mauritanie, le contexte est également électrique. L'immolation à Nouakchott, le 17 janvier, d'un homme d'affaires mécontent du régime est un détonateur. Situation identique au Maroc où quatre personnes ont tenté de s‘immoler depuis le 21 janvier. Mohamed VI a procédé à l'achat d'importantes quantités de céréales afin d'éviter des pénuries pesant sur le climat social. Chez nous, la dernière grande vague émeutière qui a fait 5 morts et 800 blessés n'est pas effacée des esprits. Le gouvernement, qui l'a réduite à une question d'huile et de sucre, s'est précipité dans ce qu'il sait faire : la fuite en avant et le populisme. Gel de son arsenal juridique devant, à ses yeux, mettre fin à l'économie informelle et à la corruption et nouvelles promesses quant aux prix des produits de première nécessité et aux augmentations de salaires ! Contrairement à ses homologues qui sont également assis sur des volcans, le gouvernement algérien donne l'air de ne pas être concerné du tout par des revendications d'ouverture politique. La police a empêché violemment une marche pour la démocratie à Alger. Alors qu'elle enregistre de nouvelles adhésions, la Coordination pour le changement et la démocratie marchera le 12 février, ses membres proposent de reprendre les mêmes slogans qui ont conduit à la victoire de la Révolution du Jasmin en Tunisie et qui ont été scandés en Egypte et ailleurs dans le monde arabe. S'il est vrai qu'une contagion mécanique de type tunisienne est incertaine, et l'Egypte vient de montrer qu'en raison des spécificités de chaque pays arabe, aucun processus de changement ne ressemblera à un autre, il n'en restepas moins que ces mouvements de protestation qui se propagent comme des feux follets dans les pays régimes arabes, ont surtout révélé à quel point leurs pouvoirs, dont les dirigeants établissent des records de longévité, manquent de légitimité populaire.