Les déclarations de Hillary Clinton, une invitation à peine voilée à annoncer et à organiser son départ, sans quoi les évènements pourraient l'y contraindre et le pousser vers la sortie de manière beaucoup moins convenable, comme ce fut le cas un certain 14 janvier pour son homologue tunisien Ben Ali. Hosni Moubarak demandait, hier, au cours d'une réunion d'une heure et demie, à son tout nouveau Premier ministre, Ahmad Chafic, de faire du “rétablissement du calme sa priorité” et appelait à “plus de réformes politiques”. Un peu plus tôt, il a été montré par la télévision d'état rendant visite au centre de commandement de l'armée en compagnie de son vice-président, le chef des services de renseignement, Omar Souleïmane. C'est comme si le raïs décrié par son peuple, qui exige son départ et qui a déjà consenti un très lourd tribut pour cela, venait de vivre une journée normale, dans un pays normal. Son objectif et son message étaient clairs : montrer qu'il a toujours les choses en main et qu'il n'a nullement l'intention de renoncer au pouvoir. Pendant ce temps, à Washington, s'exprimant sur la chaîne de télévision CBS, la secrétaire d'état, Hillary Clinton, sonnait la charge contre lui en réclamant “une transition en bon ordre vers une démocratie véritable” en égypte. “Nous demandons instamment au gouvernement Moubarak, qui est encore au pouvoir, de tout faire pour faciliter ce genre de transition”, a-t-elle insisté, faisant preuve d'une fermeté inhabituelle jusqu'ici. Autant dire que la chef de la diplomatie américaine, qui a réclamé “des élections démocratiques” et souhaité que “le peuple égyptien ait une chance de dessiner un nouvel avenir”, demande clairement au raïs de passer la main. Comme dans une partition bien élaborée, le président Barack Obama a immédiatement pris le relais en évoquant la crise égyptienne avec les dirigeants turc, israélien, britannique et saoudien, leur faisant part de son souhait “d'une transition vers un gouvernement répondant aux aspirations” des égyptiens. Il s'agit incontestablement d'un virage historique de l'attitude américaine face à la crise égyptienne. L'alliance stratégique des états-Unis avec l'égypte n'est pas remise en cause par cette évolution. Au contraire, pour la sauver, Washington semble décidé à sacrifier le despote vieillissant du Caire. Une transition en douceur permettrait de sauver l'essentiel, c'est-à-dire mettre en place un gouvernement qui assure la pérennité de la politique étrangère du régime Moubarak et sauvegarder, ainsi, les équilibres géopolitiques dans la région, pense-t-on à Washington. A contrario, une vacation du pouvoir consécutive à une chute brutale du régime ouvrirait la voie à tous les scénarios, y compris aux plus catastrophiques d'entre eux. Le schéma envisagé semble avoir été dessiné dès vendredi, alors que le chef d'état-major de l'armée égyptienne, Sami Anan, était à Washington à la tête d'une importante délégation d'officiers supérieurs. C'est à ce moment que les généraux restés au Caire ont contraint Moubarak à nommer un vice-président en la personne d'Omar Souleïmane, le chef des services de renseignement, alors qu'il destinait ce poste à son propre fils qu'il préparait à sa succession. Issu de l'armée à l'intérieur de laquelle il bénéficie d'appuis solides, Omar Souleïmane a été très actif dans le cadre du difficile processus de paix israélo-palestinien. Il maîtrise parfaitement les dossiers de politique étrangère et il est particulièrement apprécié à Washington et à Tel-Aviv, où il a d'importantes relations. Il a aussi la réputation d'être impitoyable avec les Frères musulmans. Bref, le candidat idéal de Washington pour prendre la suite de Moubarak. Plusieurs sources, aussi bien occidentales qu'arabes, prédisent un scénario dans lequel il ferait équipe avec l'opposant Ahmed El-Baradei, chargé par l'ensemble de l'opposition, y compris les Frères musulmans, de négocier avec le pouvoir. Si rien ne confirme cette combinaison, elle n'en est pas moins plausible, voire envisageable.