L'impressionnante armada policière, composée de quelque 26 000 agents, n'a pas empêché des milliers de citoyens, 5 000 selon les avis de divers observateurs, 10 000 selon Me Bouchachi, mais… seulement 250, selon le ministère de l'Intérieur, d'investir la place du 1er-Mai dès 9h30. Au vu de l'impressionnant dispositif sécuritaire de plus de 30 000 policiers déployés hier à Alger, il était quasiment impossible à la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) d'organiser la marche à laquelle elle a appelé. Le décor est planté dès les premières heures de la matinée. La place du 1er-Mai d'où devait démarrer la marche ainsi que ses alentours se sont recouverts du bleu de la police. Le moindre espace pouvant accueillir du monde est encerclé par les policiers. Des colonnes de camions et autres chasse-neige stationnent du côté de l'avenue de l'Indépendance, de la rue Hassiba-Ben-Bouali et dans plusieurs autres endroits de l'itinéraire que devait suivre la marche, c'est-à-dire de la place du 1er-Mai à la place des Martyrs. Comme le 22 avril dernier, le siège du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), à la rue Didouche-Mourad, est lui aussi pris d'assaut par les forces de l'ordre. Les engins policiers sont éparpillés çà et là. Vendredi soir, des heurts ont eu lieu ici entre manifestants et policiers qui se sont soldés par une dizaine de blessés. Mais cette impressionnante armada n'a pas empêché des milliers de citoyens, 5 000 selon les avis de divers observateurs, 10 000 selon Me Bouchachi et… seulement 250, selon le ministre de l'Intérieur, ayant répondu à l'appel de CNCD, comprenant des syndicats autonomes, des organisations de la société civile et des partis d'opposition à tenir, dès 9h30, un rassemblement sur place, à quelques pas du siège de l'UGTA. Tous les responsables des structures animant la CNCD sont là : Saïd Sadi, Ali Yahia Abdenour, Me Bouchachi, Arezki Aït Larbi, Abdelhak Brerhi, Moulay Chentouf, etc. La manifestation a permis à Saïd Sadi et Arezki Aït Larbi de se réconcilier. Au beau milieu de la foule, ils faisaient un brin de causette pendant un bon moment. La presse étrangère était présente en force. Certains photographes s'étaient mis sur le toit des abribus pour immortaliser ces moments historiques. Plus de 300 personnes interpellées Des chanteurs comme Amazigh Kateb et Baâziz, des cinéastes comme Bachir Draïs, des avocats et des militantes d'associations féminines étaient aussi de la partie. C'est dire que la coordination a brassé large. L'image la plus saisissante est cette présence massive de femmes de tous âges. Survoltée, la foule scandait des slogans hostiles au régime tels que “Y en a marre de ce pouvoir”, “Le peuple veut la chute du régime”, “Bouteflika dégage”, etc. Tout en arborant des drapeaux algériens et des exemplaires de certains journaux (Liberté, El Watan, El Khabar,..), les manifestants entonnaient des chants patriotiques. Pour empêcher ce rassemblement, les forces de l'ordre ont préféré une autre méthode que la matraque : l'arrestation de manifestants. Des femmes, des jeunes filles, des députés,… personne n'est ménagé par des policiers, en tenue ou en civil, sur les nerfs. Pis, certains députés du RCD comme Leïla Hadj (une policière l'a traitée de “chienne”), Arezki Aïder (il a été interpellé à 5 reprises) et Boubekeur Derguini (traîné de force et roué de coups) ont été brutalisés même. Bilan : plus de 300 manifestants dont une cinquantaine de femmes ont été interpellés. Pour Ali Yahia Abdenour, le nombre d'arrestations s'élèverait à un millier environ. L'arrivée du chanteur Amazigh Kateb, fils du célèbre Kateb Yacine, avec une cinquantaine de partisans, a mis de l'animation. Un petit groupe de jeunes “contre-manifestants” s'invite à la place pour provoquer les partisans de la CNCD en criant : “Kabyles repartez, dans vos douars”, “Bouteflika ce n'est pas Moubarak” sans qu'ils ne soient inquiétés. Vers 10h30, les policiers ont rudement dispersé la foule laissant Saïd Sadi, Ali Yahia Abdenour, Mustapha Bouchachi et certains députés du RCD seuls. Certains contre-manifestants se sont rapprochés d'eux en se permettant de leur lancer quelques slogans hostiles et les policiers ont laissé faire ces “baltaguias d'Alger”, pour reprendre le sobriquet que leur ont attribué les manifestants. Un homme d'un certain âge assurait à certains de ces “délinquants invités sur la scène politique”, selon une autre expression des animateurs de la CNCD, que “du renfort va bientôt arriver de Bachdjarrah”. “Il ne faut pas leur en vouloir, ils les ont payés”, lance un partisan de la coordination. “Ils ne m'ont payé que pour une heure…” étrangement, la même permissivité a été affichée par les policiers à l'égard d'Ali Benhadj, figure de proue du l'ex-FIS, et de ses partisans, se contentant seulement de les encadrer. Au nez et à la barbe des policiers, il s'est même permis le luxe, lui qui pourtant est interdit d'activité politique, de haranguer la petite foule qui l'entourait. Autre fait curieux, la chaussée n'est pas interdite aux automobilistes qui se frayaient un chemin au milieu de la foule. Fort heureusement, il n'y avait aucun accident, grâce surtout au civisme des manifestants et, il faut le dire, à la prudence des conducteurs. Vers 11h30, la foule, nombreuse s'est à nouveau rassemblée. Les mêmes slogans hostiles au pouvoir (“Algérie Libre, Bouteflika dehors”, sont criés à tue-tête. En face, des contre-manifestants, des adolescents pour la plupart, criaient eux des mots d'ordre favorables à Bouteflika “Bouteflika ce n'est pas Moubarak”. Au milieu, un rideau de policiers pour empêcher les deux camps de s'accrocher. Sentant la manœuvre, les partisans de la coordination n'ont à aucun moment répondu à la provocation se contentant de lancer à leur vis-à-vis “Marche pacifique”, “Jeunes Algérois, la question est nationale”, “Le peuple veut la chute du système”. Un renfort des forces de l'ordre arrive pour essayer de vider la place. La patience et la diplomatie des manifestants ont fini toutefois par payer puisque plusieurs parmi les adolescents, qui participaient à la soi-disant contre-manifestation, ont fini par rallier le camp des manifestants, reprenant à leur compte les slogans de la CNCD. “Ils ne m'ont payé que pour une heure, maintenant je peux manifester contre la hogra”, a répondu l'un d'eux, pour expliquer ce spectaculaire revirement. Avis aux sponsors des “baltaguias” qui, visiblement, auront à débourser plus la prochaine fois. Cette action de protestation a pris fin vers 16h. Aujourd'hui, la Coordination nationale pour le changement et la démocratie tiendra une réunion pour faire une évaluation de la journée d'hier.