Les “contre-manifestants” surnommés baltaguia, ces intrus payés, développant un discours raciste, qui de coutume sont mobilisés pour torpiller les marches étaient absents hier. On l'a rebaptisée, il y a quelques années, “Place de la concorde”. Et depuis quelques semaines, on voulait qu'elle prenne les couleurs de la place Tahrir du Caire, devenue célèbre grâce à la révolution qui a conduit à la chute de Hosni Moubarak. Mais elle n'est ni l'une ni l'autre. Point de concorde au regard de l'hostilité du pouvoir, mais aussi de quelques “oppositions” à la liberté d'exprimer ses revendications par la marche à Alger, une ville dont on veille à la “sérénité”. Point de “liberté”, en raison de l'absence de cette atmosphère qui caractérisait la place forte de la contestation égyptienne. Ce samedi encore, ils étaient nombreux, les éléments de forces antiémeutes à se positionner dès les premières heures de la matinée dans les principales artères menant à la place du 1er-mai, lieu de départ de la marche à laquelle a appelé pour la cinquième fois successive la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Plusieurs centaines de policiers étaient déployées dans tout le périmètre qui entoure cette place au cœur d'Alger. Pour une fois, le boulevard Belouizdad est jalonné de part et d'autre de la chaussée de haies métalliques, sans doute afin d'empêcher les passants sur le trottoir de descendre dans la rue. Invitée surprise, la météo s'est mise de la partie, refroidissant ainsi quelques ardeurs des uns et la colère des autres. Comme pour les précédentes tentatives de marche, la machine répressive, bien huilée, a fonctionné à merveille. Dès qu'un groupuscule se constitue, il est immédiatement contenu avant d'être dispersé. Saïd Sadi, lui-même, le vérifiera une fois de plus. Arrivé vers 11h15, il est très vite encerclé et repoussé à l'intérieur de l'hôpital Mustapha-Pacha. Certains députés qui l'accompagnent ou qui tentent de l'entourer pour le protéger seront brutalisés dans la bousculade. On a frôlé les échauffourées. Brutalisée déjà lors d'une précédente marche, la députée Lila Hadj-Arab n'échappe pas à la furie de ces hommes munis de casque et de bouclier. Ali Yahia Abdenour sera, lui aussi, isolé. Des manifestants, près d'une dizaine, ont même été arrêtés avant d'être relâchés, selon le député Boubekeur Derguini. Un peu plus loin, un groupe qui tentait de se former autour du député Hakim Saheb sera vite saucissonné et repoussé vers le boulevard Mohamed-Belouizdad. Derrière la colonne de policiers qui ceinture les manifestants, quelques officiers, visiblement excités, demandent aux passants de hâter le pas et de circuler. Mais n'empêche, quand bien même réduits, malmenés, ils ne renoncent pas à déclamer leurs slogans fétiches : “Djazair hora démocratia”, (Algérie libre et démocratique) ; “Pouvoir dégage” ; “Y en a marre de ce pouvoir”. Arrivé au niveau du rond-point, face à la station de bus, non loin de la Maison du peuple, un groupe de manifestants qui tente vainement de forcer le cordon est repoussé violemment. Un officier tente de rappeler ses éléments à l'ordre : “doucement !”, leur lance-t-il. Une occasion pour une femme d'interpeller l'officier : “Normalement, vous devez manifester avec nous, voyez ce qui s'est passé en Egypte.” Réponse de l'officier : “Labass alina (on est bien !).” Réplique sèche de la bonne dame : “Ce n'est pas vrai, vous mentez !” Image fort saisissante qui tranche avec les dernières manifestations : les “contre-manifestants” surnommés baltaguia, ces intrus payés, développant un discours raciste, qui de coutume sont mobilisés pour torpiller les marches,, étaient curieusement absents hier. Hormis un seul individu, portrait de Bouteflika à la main, apparut à la fin de la manifestation, aucun groupe hostile n'a été remarqué dans les environs. Alors qu'ils regardaient ces scènes, devenues désormais classiques, de course-poursuite entre policiers et manifestants, un groupe de quinquagénaires devisent sur un trottoir faisant face au rond-point de la place : “Vous êtes journalistes ? Ecrivez que nous sommes des natifs des Champs-de-manœuvre. Nous ne sommes pas contre les gens qui veulent marcher. C'est Bourouina (maire de Belouizdad, ndlr) qui sème la zizanie.” Un autre, barbe poivre sel, admet même : “Aujourd'hui, je ne marche pas à l'appel de cette coordination, mais ça ne veut pas dire que je ne marcherai pas un jour !” Il est 12h, les derniers manifestants quittent les lieux et les policiers peuvent souffler. La révolution baille encore….