Dans cette contribution, le professeur Abdelkader Kacher pose un problème qui devient de plus en plus récurrent : celui pour un père de famille de choisir le prénom de sa fille ou son fils. L'administration, bête et méchante, s'en tenant souvent à la nomenclature officielle, qui est en totale déphasage avec la sociologie algérienne, se retrouve en situation de bras de fer avec les parents. Ces derniers, en dernier ressort, s'en remettent à la justice pour contourner une loi désuète. Mon collègue universitaire Doumène Saïd a, encore une fois, interpellé la conscience nationale collective, comme il n'a cessé de le faire depuis le Printemps berbère de 1980, sur un déni de droit fondamental. Le droit pour son fils de porter le prénom choisi. Monsieur le Président de l'Assemblée populaire de la wilaya de Tizi Ouzou assume pleinement ses prérogatives d'élu de la wilaya pour soulever cette question au fond de transcription des prénoms de personnes à l'ère où l'enfant est promu au statut d'acteur de la vie nationale et internationale. Une reconnaissance juridique lui est attribuée, au-delà des Etats, par le droit international d'avoir des droits fondamentaux en temps que citoyen et des droits créances sur l'Etat de naissance. Les droits fondamentaux érigés en normes impératives jus cogens au sens de l'article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, et que la jurisprudence de la Cour internationale de justice élève au rang de norme erga omnes. La Convention des Nations unies de 1989 sur les droits de l'enfant vient, à juste titre, confirmer le statut en constante perfectionnement de l'enfant. Notre pays est partie contractante de ces deux instruments juridiques à vocation universelle, depuis leur ratification et de ce fait prennent une valeur juridique supérieure à la loi, au sens voulue par le constituant de 1996. Pour tout initié en droit constitutionnel, la Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple et confère la légitimité à l'exercice des pouvoirs. Elle permet d'assurer la protection juridique et le contrôle de l'action des pouvoirs publics dans une société où règnent la légalité et l'épanouissement de l'homme dans toutes ses dimensions. Ayant toujours milité pour la liberté et la démocratie, le peuple algérien entend, par la Constitution adoptée par voie référendaire en 1996, se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun et de tous. Ayant toujours milité pour la liberté et la démocratie, le peuple entend, par cette Constitution, se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun et de tous. La société algérienne, telle qu'elle se présente, aujourd'hui, est l'aboutissement d'une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l'Islam, l'arabité et l'amazighité . La question prioritaire de l'inconstitutionnalité du texte soulevé par un père de famille citoyen et un représentant de la collectivité départementale (APW) mérite bien de la soulever ici au regard des lois de la République algérienne démocratique et populaire. Le concept de lois est pris ici au sens large du terme, couvrant ainsi les domaines d'ordre législatif, réglementaire et notamment constitutionnel et conventionnel. C'est-à-dire du respect ou non de la hiérarchie des normes et de leur opposabilité. Pour ce qui est de l'illégalité et de l'incompatibilité du texte, au regard de l'actualité du droit algérien. Soulignons, de prime abord, que le législateur algérien dit clairement que la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. Une loi ne peut être abrogée que par une loi postérieure édictant expressément son abrogation. Mais ce même texte prend le soin de souligner que “toutefois, l'abrogation peut aussi être implicite lorsque la nouvelle loi contient une disposition incompatible avec celle de la loi antérieure ou réglemente une matière précédemment régie par cette dernière”. Ainsi, ce second paragraphe de l'article 2 du code civil algérien lève toute équivoque sur l'illégalité et la non-conformité d'accorder une effectivité opérationnelle soutenue au décret de 1981 relatif aux prénoms en Algérie depuis l'adoption par le détenteur de la souveraineté de la Constitution de 1996, ensemble codes de la famille et de nationalité depuis 2005. Notre précédent argument est encore validé par les dispositions de l'article 28 du même code qui stipule : “Toute personne doit avoir un nom et un ou plusieurs prénoms. Le nom d'un homme s'étend à ses enfants. Les prénoms doivent être de consonance algérienne ; il peut en être autrement pour les enfants nés de parents appartenant à une confession non musulmane.” Un arrêt sur image est plus que jamais indiqué ici. Par “les prénoms doivent être de consonance algérienne” nous entendons la consonance induite et déduite du préambule de la Constitution de 1996 justifiée par la révision introduite par la loi n° 2002- au bénéfice de l'ajout de l'article 3 bis dans le dispositif de la Constitution. L'Amazighité, en tant que composante assumée de la personnalité algérienne, ne peut par conséquent subir depuis l'exclusion dont elle avait trop souffert avant 2002. Si certains bureaucrates zélés et fixés encore sur le passé non composé de la personnalité algérienne, il est urgent pour le bien-être de l'exercice de la citoyenneté d'introduire des réformes institutionnelles, voire administratives et sur les mentalités de certains administrateurs pour que justice soit rendue au nom le la loi fondamentale. Le décret portant exercice du culte autre que musulman est adopté également, quant à lui, postérieurement au décret de 1981. Situation prise en compte par la seconde partie de l'article 28 du code civil précité. Ce qui implique encore la possibilité d'avoir le droit de proposer pour ceux qui s'apparentent à des cultes présents en Algérie. Cette hypothèse est-elle encore inimaginable donc dans l'esprit de ces zélés ? Quant au critère de constitutionnalité Cette loi fondamentale, opposable à toutes les institutions de la République algérienne démocratique et populaire, est consolidée, pour ce qui de l'objet de notre réflexion, par la loi n°02-03 du 10 avril 2002, portant révision constitutionnelle. Dans les faits, le constituant allant dans le sens d'ériger en norme constitutionnelle la déclaration générale d'orientation, portée en le préambule de la Constitution de 1996, réaffirme en des termes sans équivoques le caractère nationale de l'identité amazigh . Trente années passées, le legs de la pensée unique et du moule unique, imposé par les avatars de l'idéologie de l'exclusion du Parti unique, au bénéfice de l'article 120 de son statut, l'ogre demeure comme hogra au pays des hommes libres au sens de Massinissa. En la matière, le décret n° 81-26 du 7 mars 1981 tombe en la circonstance dans ce qui est qualifié sous d'autres cieux, et conformément au développement du droit constitutionnel, soit en désuétude, soit constitue une question prioritaire de constitutionnalité. En désuétude, du fait de son article 5 qui énonce que “Le lexique officiel des prénoms fait l'objet d'une actualisation tous les trois ans selon des procédures qui seront définies par arrêté conjoint du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Justice”. Une telle procédure n'a jamais, à notre connaissance, été mise en œuvre depuis, comme le confirme d'ailleurs Monsieur le président de l'APW de Tizi Ouzou . Décret qui pose une question prioritaire de son inconstitutionnalité. En l'espèce, le juge algérien, même s'il ne créé pas la loi, conformément au système juridique adopté en Algérie, est tenu d'observer le degré de constitutionnalité ou non d'un texte juridique en matière d'état civil ou autres, notamment sur des questions liées aux libertés publiques et droits fondamentaux, qu'il est appelé à appliquer. Les raisons d'ordre conventionnel Si l'on admet la rareté, voire la faiblesse de la jurisprudence interne en matière des droits de l'homme et de la supériorité de la norme du droit international (une fois adoptée), il y a lieu de signaler l'existence d'une brèche qui est ouverte en la matière par la Cour suprême suivie de quelques jugements rendus par des tribunaux nationaux . Les raisons qui concourent à avancer un tel constat interpellatif, pour le législateur en général, le juge administratif et constitutionnel en particulier, peuvent être sérié en quelques principes : Le décret en question du 7 mars 1981, portant établissement d'un lexique dit national des prénoms, est pris avant que le constituant ne révise en 1996 et 2002 les fondements constitutionnels de la société algérienne. Par conséquent, ce texte est révocable pour motif de son inadéquation avec l'évolution de la société et du droit algérien et international. Donc pour son inconstitutionnalité en 2011, pour les raisons soulevées plus haut, auxquelles se greffent d'autres d'ordre de contrariété du texte incriminé, le décret de 1981, avec certaines normes juridiques de droit international adaptées par le législateur algérien. Nous relevons les exemples suivants: La déclaration universelle des droits de l'homme à laquelle notre pays a donné valeur constitutionnelle depuis l'an I de l'Indépendance au bénéfice de l'article 11 de la première loi fondamentale de l'Algérie indépendante. Cette déclaration, qui prend au jour d'aujourd'hui une valeur juridique de règle coutumière par une référence constante de la Cour internationale de justice en particulier, énonce en son article 1er que “tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres” Dans un esprit de fraternité”. “Ainsi on est sûr du droit de chacun à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique”. En conséquence, l'enfant est en plein droit d'avoir des droits fondamentaux, dont le droit à un nom et prénom. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ratifié par notre pays sans réserves au fond, confirme cette tendance de protection et de garantie des droits fondamentaux. Enfin, la convention des Nations unies sur les droits de l'enfant de 1989, ratifiée également par notre pays, charge les Etats-parties à donner pleine effectivité aux règles de droit édictées et acceptées, dont le droit au libre choix d'un nom. Conformément à cette dernière convention, l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux. Les Etats-parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière. Nous relevons ici le caractère impératif du texte qui fait obligation aux Etats-parties de se conformer aux obligations que leur imposent les instruments internationaux en matière du droit de l'enfant à un nom. Le choix du prénom ne peut, à notre avis, être conditionné par une vision restrictive, réductrice ou d'exclusion quant aux sources d'inspiration pour les parents. Ce choix, à moins d'une incohérence entre les textes fondamentaux et les textes d'application qui doivent respecter l'esprit de la loi fondamentale, la personnalité algérienne est fondée sur trois valeurs constitutives que sont l'amazighité, l'Islam et l'arabité. Ainsi les Etats-parties à la convention sont tenus par l'obligation de respecter le droit de l'enfant, de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale. En conséquence, si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d'entre eux, les Etats-parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. Le cas en espèce soulevé plus haut par un parent et un représentant élu de la wilaya entre pleinement dans la logique du raisonnement que nous avons essayé de développer. Des observations supra, nous concluons en la responsabilité des institutions en charge de la protection des droits de l'enfant de mettre en œuvre et de rendre effectives les normes impératives de la loi fondamentale. Il incombe donc à l'Etat de donner pleine satisfaction aux engagements qui découlent de l'adaptation, qui doit être suivie d'une rigueur d'observation de notre corpus juris au droit international en la matière. A. K. *Professeur à l'université Mouloud Mammeri Tizi-Ouzou