Je plains les moins de 40 ans qui n'ont pas eu la chance de voir évoluer Mustapha Dahleb avec le CRB et l'équipe nationale dans les années 1970. Un régal. Avec son pied gauche, il pouvait tout faire. Absolument tout : dribbler dans un mouchoir, feinter, désarçonner l'adversaire et même parfois le public. Ce n'est pas tout. Il avait un pied gauche d'une rare puissance. Mais tout cela ne serait rien sans un caractère trempé dans l'acier. À l'époque où beaucoup de jeunes Algériens se battaient pour avoir la nationalité française et éviter, du coup le service national, Mustapha Dahleb choisit délibérément de tout laisser en France : gloire, argent et parents, pour venir ici passer son service national, dans l'Algérie austère du président Boumediène où l'on faisait la queue pour un yaourt et une très longue chaîne pour un bidon d'huile. Les bananes ? On ne connaissait pas. On entendait parler de ce fruit et de bien d'autres qui relevaient du fantasme pour nous. Alors quand on a vu un jeune joueur de 19 ans à peine, abandonner la société de consommation pour la nôtre, on a eu chaud au cœur. Tout n'était pas mauvais dans cette Algérie martiale au socialisme spécifique puisque oui, puisque Mustapha Dahleb l'a choisie au détriment des Champs-Elysées, des grands boulevards et des grand magasins. Joueur de classe, vedette du Tout-Paris, Mustapha n'a jamais oublié ses origines. Sollicité par une certaine presse qui n'avait souvent comme objectif que de le piéger, il s'en sortait toujours à merveille. C'est qu'il était l'un des rares joueurs politisés. Peut-être bien le seul. Je me rappelle d'une interview dans France-Football, la bible du football français et même européen, où il insistait sur son origine algérienne. À la télé française, on lui ressort son origine kabyle (il est de Béjaïa), il précise tout de suite qu'il est d'abord Algérien et fier de l'être comme beaucoup de Français sont Corses ou Bretons. Cette ligne de conduite d'une star qui ne renie pas ses origines à une époque où il n'était pas bon de se dire Algérien, a fait de Mustapha Dahleb le porte-drapeau naturel de toute une génération, la mienne, qui avait besoin de repères. Toutes proportions gardées et je ne sais pas si la comparaison plaira ou non à Moumousse, il était dans le sport, le pendant de Boumediene en politique : même orgueil, même fierté et même amour pour l'Algérie. Il était conscient de sa valeur et de ses valeurs et n'entendait pas en céder un pouce aux autres. Moumousse n'était pas seulement un footballeur rare, c'est aussi un être d'une rare subtilité qui d'un jeu de mots, d'un calembour, met les rieurs de son côté. Je l'ai vu, de mes yeux vu, mettre en boîte des journalistes qui pensaient avoir affaire à un joueur qui n'avait pour toute intelligence que celle de ses pieds. Héros de la mythique équipe de Gijón, Dahleb aurait pu être un grand entraîneur. Il a tout pour ça : son charisme, sa lucidité, sa connaissance des hommes et du football. Il a préféré faire autre chose, amputant du coup l'Algérie et son football d'une alternative technique. Je l'ai croisé il y a moins d'une année, le cheveu gris, la silhouette légèrement enrobée (il va râler, je sais), mais l'humour toujours à fleur de peau, jamais à court d'une dernière blague, d'une dernière feinte, d'un dernier rire. Dernier ? Non, avant-dernier, toujours. Dahleb a été le roi du Parc des princes à Paris. Il aurait mérité d'être empereur en Algérie. Mais l'Algérie, souvent, ne sait pas reconnaitre les siens. Corrigeons : pas l'Algérie, ceux qui la dirigent… H. G. [email protected]