Docteur en sciences du langage, enseignante chercheuse à l'Ecole normale de Bouzaréah et chercheuse associée au Crasc d'Oran, Mme Ouardia Yermèche a animé dernièrement, à la maison de la Culture de Tizi Ouzou, une conférence débat sous le thème “Le nom propre amazigh, entre contingences politico-historiques et considérations socioculturelles”. La conférencière a parlé du nom propre comme facteur d'identité, de différence et de classement. Ce qui est constaté chez nous, par exemple chez les Touaregs du sud et les Amazighs du nord, les segments qui composent le nom sont différents. “Celui circonscrit aux régions du nord est à prédominance patrilinéaire. L'individu est désigné par rapport à un ancêtre mâle. Celui usité dans les régions du sud, chez la population touareg, la dénomination est plutôt matrilinéaire, l'individu est désigné par rapport à sa mère”, dit-elle. Mme Yermèche est revenue, dans son allocution, sur l'anthroponymie amazighe contemporaine composée, selon l'oratrice, d'un fond libyco-berbère, et sur son évolution à travers les siècles qui s'est opérée avec l'influence de multiples invasions qu'a connues Tamazgha (carthaginoise, gréco-latine, arabe, espagnole, ottomane et française). L'anthroponyme libyco-berbère se fait suivant une nomination orale, avec des filiations lignagères et ethniques. L'individu est désigné par rapport à un clan (nom de l'individu lié à des ascendants directs), à la famille (l'individu est désigné suivant une désignation individuelle à base d'un surnom ou de sobriquet construit comme Mokar (grand)/Amokrane, et par rapport à l'extérieur du clan, suivant une désignation ethnique. “Jusqu'à l'occupation arabe, l'influence sur le système anthroponymique s'est limitée à des rajouts lexicaux. Avec l'occupation arabe, nous assistons à une arabisation massive des noms amazighs et l'introduction de formes nominales arabes de types religieuses (noms en ellah, eddine et abd) ou relatives à la pratique de l'islam (Laïd, Achour, Ramdane... ). C'est l'occupation française qui a le plus bouleversé le système anthroponymique local, avec l'établissement de l'état civil et l'imposition du mode patronymique”, relève l'oratrice. Pour Mme Yermèche, cette époque a connu une politique de falsification et de destruction de l'anthroponyme local, suivant une transcription française sans aucune norme autographique et avec une altération et francisation des noms amazighs avec des pertes à consonances locales. Après l'indépendance, l'arabisation des registres d'état civil et la loi de 1981 régissant la nomenclature des prénoms algériens ont contribué à la disparition lente des noms amazighs. La mondialisation a également contribué à la perte des noms amazighs authentiques. Un héritage problématique du système de l'état civil que nous subissons jusqu'au jour d'aujourd'hui ; à cela s'ajoute “l'inexistence d'une politique linguistique onomastique de réhabilitation de l'anthroponymie algérienne par, notamment, l'uniformisation de l'écriture des noms en arabe, ainsi que la continuité du processus de la déformation des noms causée notamment par la reconduction des fichiers d'état civil en l'état laissé par l'administration coloniale, continuation du processus d'altération des noms avec l'arabisation du fichier d'état civil (le passage de l'écriture des noms du français à l'arabe donne lieu à des réalisations de noms différents, à l'arabisation systématique des noms amazighs et à la déformation des noms patronymiques), et la loi de 1981 sur la nomenclature des prénoms algériens”, conclut-elle, tout en revendiquant l'intégration de cette science des noms, impliquant une recherche d'histoire et culturelle dans les universités.