Ce travail, entrepris par Karim Khaled, membre du centre de recherche en économie appliquée pour le développement, vient d'être publié par cette structure dans un long ouvrage sur l'université algérienne et sa gouvernance “D'une manière précise, la migration intellectuelle en Algérie n'est pas déterminée par sa dimension économique, mais elle reste, du point de vue sociohistorique, éminemment politique, liée fondamentalement au triptyque droits de l'Homme, liberté de pensée et Etat de droit”, soutient l'auteur de l'enquête sur “l'exil forcé des élites intellectuelles algériennes : cas des enseignants-chercheurs installés en France”. Ce travail, entrepris par Karim Khaled, membre du centre de recherche en économie appliquée pour le développement, vient d'être publié par cette structure dans un long ouvrage sur l'université algérienne et sa gouvernance. Selon lui, la migration des enseignants chercheurs universitaires est une forme de contestation sociale contre, à la fois, l'idéologie unanimiste adoptée par le FLN juste après l'Indépendance, et une gestion bureaucratique de l'université, couplées à une arabisation qui allait peu à peu accentuer le déclassement social. “Ces soubassements idéologiques, non élaborés et qui se sont constitués en imaginaire social conflictuel, n'ont pas tardé à se mettre en surface durant les années 1990, pour devenir un référentiel idéologique justifiant des conflits sanglants et le passage à la violence physique des intellectuels”. À partir de 1990, c'est effectivement un départ massif qu'enregistre le secteur. “Ce n'est pas seulement parce qu'ils ne se retrouvent plus dans l'université algérienne, ou qu'ils ne la reconnaissent plus, que ces professeurs partent, mais c'est parce qu'ils ne se retrouvent plus dans la société qui a changé trop vite et trop profondément, et pas dans le sens qu'ils attendaient”. Quand les assassinats avaient commencé, les enseignants chercheurs s'étaient retrouvés, d'après cette enquête, dans “des situations d'incertitude, d'inquiétude, de psychose et de délire collectif”. Cette mobilité imposée par des évènements est vécue, à en croire les témoignages contenus dans cette étude, comme un déchirement identitaire. L'installation définitive dans le pays d'accueil n'est que rarement envisagée au départ, mais vite elle s'impose comme une option incontournable. En réalité, en plus de fuir la violence islamiste, ces cadres ont tenté d'en découdre avec une université transformée en une machine administrative qui accumulait les dysfonctionnements, notamment dans “ses fonctions de production : diffusion du savoir et la critique qui met ces derniers dans une ambiance professionnelle caractérisée par des troubles et de désespoirs de types individuels et collectifs”. Ce témoignage d'un professeur installé en France depuis 1990 est évocateur : “Une chose importante en Algérie, ce n'est pas la critique en soi qui est interdite, puisqu'on est dans un pays unique, tout le monde critique, moins avant, mais la spécificité, c'est que vous êtes libre dans la mesure où vous êtes isolé…vous êtes libre mais isolé. Donc ghayette wa tabel alla rouhek wa kima t'heb”. Traduction : “Chantez tant que vous voulez, vous n'aurez jamais d'oreilles attentives”. Le chercheur du Cread pense que le retour des ressortissants algériens au pays, tellement souhaité dans les discours officiels, ne doit pas être réduit à une simple valeur économique ou source d'un enjeu politique conjoncturel. Les universitaires ne doivent plus être dépossédés de leur droit de gérer les activités scientifiques et de produire des publications scientifiques et pédagogiques. Ceux qui aspirent à jouir de leur liberté de pensée ne doivent non plus être marginalisés. “En effet, sous l'effet des conditions de dysfonctionnement dans la gouvernance de l'université algérienne, qui persiste toujours, voire qui se dégrade depuis leur installation en France, le ressentiment de vouloir participer activement aux différentes activités en Algérie est devenu impossible. De ce fait, les élites intellectuelles algériennes se trouvent sceptiques face à ces contradictions, au lieu d'être une valeur ajoutée dans leur pays d'origine, l'Algérie”, conclut ce chercheur du Cread.