Si les professionnels du tourisme se sont accordés à dire que Tamanrasset a payé les frais de la dégradation de la situation au Sahel, ils n'ont pas hésité toutefois à faire porter le chapeau de cette catastrophe au ministère français des Affaires étrangères qui a émis une note déconseillant aux touristes français de se rendre dans le Sud algérien. Passée pour être La Mecque du tourisme saharien algérien, Tamanrasset a connu cette année la plus mauvaise saison touristique durant cette dernière décennie. Certains n'hésitent pas à parler d'“année blanche”, d'autres carrément de “catastrophe”. Pis, la peur de revivre le cauchemar de la décennie noire de triste mémoire quand la région, comme le reste du pays, était pratiquement mise en quarantaine par les étrangers, a gagné nombre de professionnels du tourisme. “Nous n'avons jamais connu une saison pareille. Yalatif ! Il n'y a rien du tout”, a dit, catastrophé, un employé de l'antenne locale de l'Office national du tourisme (Onat). Pionnier dans le domaine et propriétaire de Akar Akar, l'agence de voyages la plus en vue sur la place, Mokhtar Zounga ne s'encombre pas de trop de diplomatie pour livrer abruptement sa pensée. “C'est zéro. Cette année, il n'y a pas de saison touristique, il n'y a pas de touristes. Je n'en ai reçu aucun”, assène-t-il retenant à peine sa colère. “Sur le plan financier, c'est presqu'une année blanche pour tout le monde. Cette année, grâce à nos efforts personnels, nous avons reçu, à Tam et à Djanet, une trentaine de touristes contre 300 l'année passée”, renchérit Mohamed Bey Benmalek, responsable de l'agence Emanère Voyages. Une soixantaine d'agences fermées et quelque 3 000 emplois perdus La baisse drastique du nombre touristes est confirmée par Abdelmalek Moulay, directeur du tourisme de la wilaya de Tamanrasset, qui donne le chiffre de 300 touristes étrangers ayant séjourné cette année à Tamanrasset contre 4 526 en 2010. Résultat des courses : plus de 60 agences de voyages sur les 82 que compte Tamanrasset ont fermé boutique. “à peine 20 agences ont vraiment travaillé cette année. Les autres, si elles n'ont pas mis la clé sous le paillasson, ont tout de même cessé leur activité en attendant des jours meilleurs”, assure M. Moulay. “Personnellement, j'ai subi des pertes d'un milliard de centimes. Je suis obligé de libérer une bonne partie de mes effectifs”, confie M. Zounga. “Par le passé, je faisais travailler jusqu'à 80 personnes ici et à Djanet. Cette année, je n'en ai retenu qu'une vingtaine”, atteste M. Benmalek. étant donné que chaque agence faisait travailler une moyenne de 50 employés, ce sont plus de 3 000 personnes qui se sont retrouvées au chômage sans parler des conséquences indirectes sur l'artisanat et le commerce en général. Le maire de Tamanrasset, Mohamed Benmalek, voit un lien direct entre cette situation et l'inflation de demandes d'emploi enregistrées, au début de cette année, au niveau de l'APC. “On nous sollicite pour toutes sortes d'emplois. N'ayant pas d'usines, le tourisme est un secteur important à Tam”, explique-t-il. De l'avis de M. Lebaïr, propriétaire du camping Dromadaire, ce sont les nomades qui ont le plus souffert de cette situation. “Pour survivre, ils sont en train de déforester la région en vendant du bois”, rage-t-il. Outre les agences de voyages, les hôteliers ont eux aussi payé le prix du reflux du tourisme. Qualifiant la saison touristique 2010-2011 de “catastrophique”, M. Bedad, responsable de l'hôtel Tin-Hinan, lâche, dépité : “Le taux de remplissage de nos 70 chambres est de 40%. Notre clientèle, ce sont surtout des militaires et des Chinois. On a été obligé de remercier une brigade fixe de 10 travailleurs”. S'il s'en est sorti plutôt bien, le plus grand établissement hôtelier de la région, le fameux Tahat, n'a pas moins subi quelques dégâts. “Certes, l'Entreprise de gestion touristique de Tamanrasset (EGTT) a dégagé des résultats assez probants et une nette évolution par rapport à l'exercice 2009. Mais ils auraient pu être plus conséquents si l'année 2010 n'a pas été marquée par des évènements bouleversants qui ont compromis les perspectives de développement (…) Conséquence : l'hôtel Tahat ainsi que l'agence Tahat Tours ont reçu plusieurs annulations de groupes qui ont constitué un manque à gagner flagrant pour l'entreprise. à défaut de touristes étrangers, l'EGTT s'est rabattue sur une clientèle nationale grâce, notamment, à des tarifs attractifs et promotionnels”, explique Hamou Ouyahia, directeur général de l'EGTT. Autre incidence de la baisse de l'activité touristique : l'accentuation du phénomène de la contrebande. “Auparavant, il y avait peu de vols de véhicules, à peine un cas par an, mais depuis le début de l'année, il y a au moins 5 vols ou tentatives de vol qui sont enregistrés. La touriste italienne kidnappée à Djanet est aussi le fait du banditisme”, confie une source. Le Quai d'Orsay et Point Afrique désignés du doigt Si les professionnels du tourisme se sont accordés à dire que Tamanrasset a payé les frais de la dégradation de la situation au Sahel, ils n'ont pas hésité toutefois à faire porter le chapeau de cette catastrophe au ministère français des Affaires étrangères qui a émis une note déconseillant aux touristes français de se rendre dans le Sud algérien. “Le Quai d'Orsay est derrière tout ça. C'est lui qui a instruit les voyageurs de ne pas se rendre dans le Sahara algérien. Il leur a déconseillé de s'y rendre même avec les agences de voyages agréées par l'état”, fulmine le directeur du tourisme. “Certes, la situation sécuritaire s'est dégradée chez nos voisins. Mais je ne comprends pas pourquoi le moindre incident dans cette région a d'énormes conséquences, contrairement à d'autres pays qui ne subissent pas autant de dégâts, même quand ils sont secoués par des attentats autrement plus meurtriers”, s'interroge M. Farid Ighilahriz, directeur de l'Office du parc national de l'Ahaggar (Opna). “La cause de nos déboires, ce sont les Français qui nous ont mis au rouge. Mais nous n'allons pas crever de faim. On est resté sans activité durant toute la décennie noire mais cela ne nous a pas empêché de vivre”, lâche, très remonté, M. Zounga. Pourtant, le plus gros des touristes qu'accueille la capitale du Hoggar ne sont pas des Français. “Oui, mais les autres pays européens suivent la France qui, à leurs yeux, connaît mieux que quiconque la situation de notre pays”, corrige le directeur du tourisme. L'autre cible de la colère targuie n'est autre que le patron du Tour operator français, M. Maurice Freund, qui, l'été dernier, a suspendu toutes ses dessertes vers le Sud algérien. “C'est un menteur et un hypocrite. En me rendant à une rencontre à Paris, il avait fait semblant de ne pas me connaître”, s'est emporté un responsable d'une agence de voyages. M. Farid Ighilahriz est allé jusqu'à soupçonner le patron de Point Afrique de s'être saisi de la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel pour justifier ses ennuis financiers. “On pourrait comprendre la suppression de ses vols vers Tam qui est limitrophe du Mali. Mais pourquoi cette mesure a-t-elle touché toutes les villes du Sud algérien (Ghardaïa, Timimoun, etc.) ?”, s'est-il demandé. La fermeture du site Tassili du Hoggar, l'autre raison de la catastrophe En plus des Français, les autorités algériennes sont elles aussi désignées du doigt. Pour nombre de gens rencontrés à Tamanrasset, la fermeture du site Tassili du Hoggar a été pour beaucoup dans le reflux du tourisme. Et beaucoup n'expliquent pas cette décision préventive prise par les autorités. “On vit ici, on sait parfaitement ce qui se passe sur notre territoire. Pourquoi le maintien de l'interdiction ? Ce sont des choses qu'on ignore”, assure M. Zounga alors qu'un responsable d'une agence croit dur comme fer qu'“il n'y a pas de terroristes dans la région”. “Avec cette décision, l'opinion publique internationale a tout de suite tranché sur la question qui est restée jusque-là équivoque. Si l'on veut sécuriser les lieux, il faut au contraire nous laisser les investir avec bien sûr l'encadrement des services de sécurité et non pas laisser le terrain vide qui sera occupé par d'autres (terroristes ou contrebandiers)”, suggère M. Bey Benmalek d'Emanère Voyages. Si l'on tient beaucoup à la réouverture de ce site, alors que Tamanrasset en compte une douzaine, c'est parce qu'il est le plus prisé par les touristes étrangers. “Le Tassili du Hoggar est le meilleur, c'est le plus proche et le plus vendu. à lui seul, il attire 70% des touristes qui viennent à Tamanrasset”, soutient M. Zounga avant d'ajouter : “La réouverture de ce site nous suffit pour défendre notre profession à l'étranger. Nous avons le plus beau désert du monde et de grandes compétences dans le domaine du tourisme d'aventure. Il ne faut pas oublier que le tourisme saharien est né à Tamanrasset.” En tout état de cause, ce site a de fortes chances d'être rouvert au public durant la prochaine saison touristique. “Lors de la dernière réunion tenue ici à Tam par le ministère du Tourisme, les responsables militaires nous ont promis d'étudier la réouverture du site dans l'immédiat”, assure le directeur du tourisme. S'il ne disconvient pas de l'importance du Tassili du Hoggar, le directeur de l'Opna estime toutefois que c'est une erreur de compter sur un seul site se trouvant à moins de 200 kilomètres d'un nord du Mali livré à l'insécurité, alors que la région est un véritable musée à ciel ouvert. “Les potentialités patrimoniales et culturelles de la région sont inestimables. D'une superficie de 535 km2, le parc de l'Ahaggar est fort d'une diversité de sites. On exploite moins de 20% de nos potentialités”, soutient-il. Comme pour joindre le geste à la parole, M. Ighilahriz compte proposer la saison prochaine une dizaine de nouveaux circuits thématiques en plus des 5 déjà existants. De son point de vue, il y a lieu de mettre un terme à la dépendance des agences locales des tours operators étrangers qui, en plus, s'accaparent la plus grande partie des gains. Elles doivent être aidées pour se doter de moyens, améliorer leurs prestations de service et surtout s'organiser pour avoir des représentants dans les pays sources (France, Allemagne, etc). Pour M. Benmalek, d'Emanère Voyage, l'Algérie “doit se doter d'une vraie politique touristique car le tourisme peut être l'une des alternatives au pétrole”. Autre proposition des professionnels du tourisme : l'investissement dans le tourisme domestique. Mais cela passe par la résolution d'un problème de taille : le transport aérien. On ne s'explique pas pourquoi la compagnie aérienne publique Air Algérie ne procède pas à la charterisation de ses vols vers Tamanrasset. “Il y a beaucoup d'Algériens du nord du pays qui veulent visiter le Sud. Malheureusement, le billet d'avion coûte trop cher. Un responsable d'Air Algérie nous a promis d'en parler avec son supérieur”, assure M. Moulay qui ne désespère pas de rééditer “l'exploit” de 2001 quand Tam a accueilli quelque de 35 000 touristes. “Oui, nous pouvons aisément atteindre les 50 000 touristes”, assure-t-il avec conviction avant de nuancer : “C'est une question de conviction politique.”