“Qui vivra verra !” Cette phrase sibylline de Nezzar à l'endroit de Ouyahia est aussi bizarre que la démarche politique de ce dernier. Eclairage. Personnage important sur l'échiquier politique national, Ahmed Ouyahia étonne plus d'un observateur par sa posture et sa sérénité. Et pour cause, sur fond d'une guerre déclarée entre le cercle présidentiel et les partisans de Benflis sur le contrôle de l'appareil du FLN, Ouyahia observe presque insensiblement cette pièce “tragicomique” qui se joue par médias interposés. Sa position est mystérieuse. Ses prétentions également. L'homme est déroutant. Son accointance avec Bouteflika, avec qui il ne partage pas grand-chose — théoriquement —, fait de sa démarche un chef-d'œuvre d'imprécision et d'illisibilité. Ahmed Ouyahia, qui n'a jamais caché ses différends — et quels différends ! — politiques avec le Président, notamment sur des dossiers aussi lourds que le statut des terres agricoles et la lutte contre le terrorisme, vient bizarrement porter secours à Bouteflika au lendemain du limogeage de Ali Benflis. En acceptant de diriger un gouvernement issu du parti majoritaire, le patron du RND n'ignorait certainement pas la délicatesse d'une telle mission, d'autant qu'il était plus distant du Président que Benflis lui même. Ouyahia fonce, contre toute attente, droit au Palais du gouvernement. Ayant hérité d'une catastrophe naturelle dévastatrice et du scandale de Khalifa, l'homme a gardé la tête froide et a mis du cœur à l'ouvrage. Face à des tirs croisés en direction de Bouteflika, Ouyahia reste de marbre. Imperturbable, il évite de se mêler à la querelle. Connu pour être un va-t-en-guerre, le chef du RND préfère un exercice qu'il ne maîtrise pas bien : le funambulisme politique. Il ne veut manifestement ni courroucer la hiérarchie militaire ni se mettre à dos le président Bouteflika. Un rôle d'arbitre qui tient le bâton au milieu pour satisfaire tout le monde en somme. Mais, derrière cette image du parfait commis de l'Etat qu'Ouyahia vend à l'opinion nationale abasourdie par sa position, se cache une ambition, au demeurant légitime, d'un homme qu'on dit promis à un destin national. Ceux qui connaissent les choses du sérail estiment que le patron du RND ne fait rien pour rien et qu'il est en train d'exécuter les termes d'un deal qui consiste à accompagner Bouteflika en avril 2004 et à attendre un renvoi de l'ascenseur en 2009. Une hypothèse qui reste tout de même incertaine, connaissant le parcours de l'homme, mais surtout l'insondable position des décideurs, les vrais. La déclaration de Khaled Nezzar dans les colonnes du notre confrère Le Soir d'Algérie rend le puzzle Ouyahia un peu plus compliqué. “Qui vivra verra !”, a-t-il lâché sèchement en réponse à la question : “Que pensez-vous du Premier ministre ?” Cette réponse est aussi énigmatique que la position politique d'Ahmed Ouyahia. Le général confirmait-il par-là son statut de présidentiable en puissance pour 2004 ou 2009 ? Ou alors, a-t-il signé publiquement l'acte de décès politique d'Ahmed Ouyahia pour avoir faussé compagnie au front du refus qui s'élargit contre le chef de l'Etat ? Assurément, Ouyahia est dans la posture de l'homme-énigme. Qu'est-ce qui le fait donc courir ? Si le Premier ministre a toujours su retomber sur ses pieds à chaque fois qu'il a eu à faire le “sale boulot”, l'éventuelle chute de Bouteflika, en avril 2004, risque de lui être fatale, lui qu'on présente comme “le poulain” des généraux. Des généraux qui, précisément, ne cachent plus leurs désaccords avec Bouteflika, à en croire le soldat Nezzar. C'est dire qu'Ahmed Ouyahia joue sans doute son avenir politique dans la solution de l'équation bouteflikienne. H. M.