Le projet de loi sur l'information prévoit de “sanctionner les journaux qui appellent à la violence… dans les stades”. Le ministre compte demander à l'imprimerie de surseoir à l'impression des journaux comportant un article susceptible de surchauffer les ambiances dans et autour des gradins. Cette noble intention renseigne l'aisance avec laquelle le concepteur du projet multiplie les raccourcis pour pouvoir sévir contre la presse privée, ou “indépendante”, c'est selon. Premier raccourci : la censure est confiée à l'imprimerie. Ce n'est pourtant pas sa vocation, n'étant pas coéditeur de journaux. Dans les faits, il faudrait qu'elle recoure aux compétences du ministère de la Communication pour filtrer la presse et les rubriques sportives. On voulait dépénaliser le délit de presse, voici que l'imprimeur hérite de la prérogative de constater un délit de presse ! Deuxième raccourci : le procédé comporte un a priori selon lequel la presse écrite seule, mais jamais la télévision ni la radio, est susceptible d'encourager la violence. Les vigiles ont donc leur place dans l'imprimerie mais pas sur les plateformes de radio et télédiffusion. Pourtant les exemples d'incitation à la haine sur les chaînes de radio et de télévision ne manquent pas. En fait, ce n'est pas la nature du support qui rend les journaux suspects, mais leur statut privé, en ce qu'il peut les dispenser de la tutelle éditoriale. Il faut donc les mettre sous surveillance faute de pouvoir les mettre sous tutelle. Troisième raccourci : même si elle l'amplifie, la presse n'est pas la principale source d'incitation à la violence. Le HCI, que l'on ne peut pas soupçonner d'anti-religiosité, vient de s'élever vigoureusement contre “les prêches anarchiques” et contre leur “extrémisme intellectuel”. Il suffit d'écouter certains sermons et l'on est paré d'arguments suffisants pour justifier l'agression de la première femme que l'on rencontre ! Mais apparemment seule la violence des stades est à redouter. Tout ce détour par le terrain sportif pour réhabiliter l'imprimatur de triste mémoire ! Sortir de la pénalisation du délit de presse pour échouer dans la censure de l'administration ! La violence dans les stades, qui fonde ce projet de censure, n'est pourtant pas l'invention de la presse. C'est la conséquence de la fonction dérivative affectée au football. Contrairement aux autres disciplines sportives d'ailleurs, toutes également méprisées parce qu'elles ne drainent pas les foules, le football est inondé d'argent public pour qu'il puisse canaliser l'énergie d'une jeunesse prompte à extérioriser l'ébullition que suscite en elle le désarroi de sa condition. L'impunité d'un footballeur de l'équipe nationale qui frappe une journaliste en pleine compétition internationale, une dépêche qui relate, sans plus de commentaires, le retour sur scène d'un chanteur raï condamné pour violence aggravée sur une femme, constituent des encouragements spectaculaires de la violence faite aux femmes. Mais la violence soutenue par une idéologie est taboue. De plus, elle ne gêne pas parce qu'elle n'est pas spectaculaire et ne trouble pas l'ordre public. L'état fait mine de ne pas la voir parce que, comme eux, il l'assume ou parce que comme nous, il la craint. C'est plus facile d'aller chercher des poux dans les feuilles de chou. M. H.