Innover ou disparaître, tel est le défi que doit relever l'entreprise. Mais l'Etat ne semble pas accompagner l'entreprise dans cette quête d'où un retard qui tend à se creuser entre l'Algérie et ses pays voisins dans ce domaine. Intervenant lors du déjeuner-débat, organisé hier par le think tank de Liberté : “Défendre l'entreprise”, Abdelkader Djeflat, professeur d'économie à l'université de Lille 1, a affirmé que “l'entreprise doit innover parce qu'elle risque de disparaître”. Dans une communication intitulée : “L'entreprise et le système d'innovation”, le professeur Djeflat a estimé que la question de l'innovation n'est pas prématurée. “Il n'y a pas à attendre. Nous sommes dans un marché ouvert qui nous interpelle.” Face aux mutations du système concurrentiel mondial, au passage de l'innovation occasionnelle à l'innovation permanente, à l'accélération du progrès, il est impératif, selon lui, d'améliorer sa compétitivité. “Innover ou disparaître. Nous sommes exactement à cet enjeu. Pas innover si on le veut bien, innover quand on a le temps, innover si tous les moyens étaient réunis. Non, c'est innover ou disparaître”, a-t-il martelé. C'est dire que nous sommes vraiment à la croisée des chemins. L'entreprise ne peut se permettre de considérer la question de l'innovation comme un luxe voire un choix qu'on peut ajourner ou qu'on peut remettre à demain. C'est cela qui devrait frapper nos esprits. Faisant un état des lieux sur l'innovation en Algérie, M. Djeflat fait remarquer qu'avec tout l'investissement fait, l'Algérie reste à la périphérie. “Nous n'avons que 60 à 70 brevets annuellement de résidents, ce qui est très insuffisant surtout quand on sait que dans un pays comme la Corée, ce sont 22 000 brevets par année.” Par ailleurs, on relèvera que durant la période 1986/2006, l'on a remarqué la prédominance des inventeurs individuels. Les inventions individuelles ne sont pas soutenables, explique-t-il. Donc un changement de tendance est impératif. Côté financement, le financement public reste dominant. Là aussi il y a un problème de basculement vers le secteur privé. Il y a, également, un problème d'absorption des fonds de recherche. Se basant sur une étude faite en 2006/2007, le conférencier relève le peu de liens entre les différents acteurs du processus d'innovation dont beaucoup sont exclus. Les faiblesses structurelles des liens avec les universités sont édifiantes. 4% des entreprises seulement ont des liens avec l'université Seules 4% des entreprises en Algérie ont des liens avec l'université, alors que 90% des chercheurs sont à l'université. Les universités sont partiellement incluses dans le système de l'innovation alors que les banques en sont totalement exclues. Pourtant, il y a des atouts à faire valoir. Il y a un savoir et une accumulation d'expérience. Il y a beaucoup de réussite dans le domaine, un important secteur de PME, un grand nombre d'innovation non répertorié, un potentiel de la diaspora et enfin un potentiel de chercheurs non mobilisé (50%). Le défi, selon lui, est de ramener tout le monde à l'intérieur du cercle de l'innovation. Il s'agira, également, de centrer l'innovation sur l'entreprise avec une dimension à la fois sectorielle et régionale. Par ailleurs, il s'agira, selon M. Djeflat, de mettre en œuvre un programme de rupture pour un véritable décollage en confortant les structures existantes et qui marchent, corriger les trajectoires et créer de nouvelles structures comme des centres d'innovation et de transfert de technologie. Et enfin, faire évoluer l'appareil juridique. Au sein de l'entreprise, renforcer la capacité effective à innover sur des niches rentables (3 800 entreprises de plus de 10 salariés ont des capacités d'innovation) et constituer des pôles de compétences. Certes une mutation du cadre juridique s'est produite avec le projet de loi portant promotion et soutien à l'innovation. Cependant, des difficultés persistent. Il s'agit notamment des lenteurs dans la mise en œuvre, de l'absence de communication et de beaucoup d'hésitation au niveau des entreprises à s'engager dans l'innovation. Réda Hamiani, président du FCE : pour un fonds d'amorçage et une banque de la PME Lors des débats qui ont suivi la communication, les différents intervenants ont tous stigmatisé la politique des pouvoirs publics. Pour Réda Hamiani, président du FCE, l'innovation est une affaire d'entreprise, mais celle-ci est marginalisée. Ce qui fait que l'entreprise ne sent pas la nécessité d'innover. Autant la diaspora que les cadres des entreprises publiques ne sont pas encore intégrés dans le champ économique national. M. Hamiani plaide pour un fonds d'amorçage pour aider les jeunes entrepreneurs et une banque de la PME. De son côté, Mohamed Benini, directeur général d'Algex, indique que nous avons surabondance d'institutions, de lois et de décrets qui n'aboutissent pas. Zaïm Bensaci, le président du Conseil national consultatif pour la promotion de la PME, a pour sa part plaidé pour l'introduction de l'innovation dans le processus de mise à niveau des PME. M. Bouzidi, économiste, membre du think tank “Défendre l'entreprise”, plaide pour un nouveau régime de croissance tiré en partie par l'innovation. Il a de nouveau mis en relief la nécessité d'une réforme politique en Algérie, préalable au règlement des problèmes économiques en Algérie. M. Belmihoub, autre membre du think tank, a relevé que l'économie informelle et le recours à l'importation parasitent la quête de l'innovation. Quant à M. Hedir, membre du FCE, il a insisté de son côté sur la pauvreté des données détenues par le ministère de l'Industrie sur le tissu de PME. Tant qu'on ne connaît pas ces entreprises, on ne peut bâtir véritablement une politique efficace de mise à niveau. Ce retard de l'Algérie dans l'innovation s'explique par le caractère rentier de l'économie nationale. Il s'agit de passer d'une économie de rente à une économie d'innovation, a souligné le professeur Djeflat au cours de sa communication. La question est de savoir comment passer d'une économie de rente à une économie d'innovation, a observé M. Bouzidi. Pour l'instant, nos gouvernants ne semblent pas connaître le mode d'emploi, a-t-il laissé entendre.