“Pas même un dinar ne nous a été alloué cette année par les autorités locales pour faire face aux énormes dépenses nécessaires pour la confection des repas aux centaines de personnes qui se présentent quotidiennement à notre porte”. Ces propos amers sont ceux du docteur Hadj Smaïl Zergoun, le président du Croissant-Rouge algérien de Ghardaïa, qui affirme que “toutes nos doléances, lettres et contacts avec les autorités locales sont restés lettre morte”. Il soutient que “personne parmi les responsables n'a répondu ou, à tout le moins, nous expliquer les raisons de ce refus de prêter assistance à une frange de population fragile et démunie, dont le dernier lieu de chaleur et de dignité qui lui restait dans cette wilaya, risque de lui être refusé, l'abandonnant ainsi aux affres de la faim et de la misère”. En effet, il y a lieu de souligner que le restaurant du CRA de Ghardaïa est le seul lieu ouvert chaque année tout au long du mois de carême, connu et apprécié de tous les nécessiteux de la région qui en font un lieu de convergence obligatoire pour apaiser leur faim dans le respect et la dignité, tant les bénévoles qui y activent font tout pour mettre chacun d'eux (et d'elles, parce qu'il y a aussi plein de femmes, dont certaines accompagnées d'enfants en bas âges qui y pointent chaque soir à l'heur du f'tour), dans les meilleures conditions possibles. Ayant à son actif plus de dix années de bénévolat dans cette même structure, un vieux monsieur qui affirme laisser chaque soir sa famille rompre le jeûne sans lui, pour venir donner un coup de main, être utile et apporter un tant soit peu de chaleur humaine à une partie de notre population dans le besoin, ne comprend toujours pas cet abandon et ce refus silencieux d'apporter une aide à son prochain par les pouvoirs publics. “Ils sont les seuls à ne pas les voir, à croire qu'ils sont atteints de cécité. Pourtant le restaurant du CRA est situé à proximité du siège de la wilaya, mitoyen de l'APC de Ghardaïa et faisant face, séparé de quelques centaines de mètres, du siège de la DAS. Il leur suffit juste d'orienter leur regard vers cette bâtisse pour mesurer l'ampleur de la détresse humaine en ce mois censé être celui de la piété et du partage”. Puis ajoutant à notre adresse : “Regardez par vous-même cette longue chaîne qui se met déjà en place et il n'est que 17 heures. Restez avec nous jusqu'au f'tour et vous constaterez que plus on sert, plus ils arrivent” et c'est effectivement ce que nous avons constaté de visu, plus de 400 “rachitiques” repas ont été servis ce soir-là. Le plateau ne contenait qu'une chorba fric, un infime bout de dattes concassées (ghriss), une demi baguette de pain et quelques lamelles de betterave, de tomate et de pomme de terre bouillies, donnant l'illusion d'un hors d'œuvre. “C'est peu et très peu pour apaiser la faim d'un jeûneur, mais c'est malheureusement tout ce qu'on peut leur offrir, et ce, grâce à quelques bienfaiteurs qui, entendant à la radio locale notre cri de détresse, se sont présentés avec quelques provisions et un petit pécule qui nous a permis d'ouvrir le deuxième jour du mois béni, car le premier jour, faute de moyens, il ne nous a pas été possible d'ouvrir et avons même rédigé une grande pancarte en langue arabe, informant les nécessiteux de notre incapacité cette année de les nourrir. Regardez là, elle est encore là sur le bureau et elle pourrait malheureusement être réaccrochée à la porte si, en urgence des aides ne nous sont pas apportées. Mais il faut avouer qu'en voyant ces centaines de personnes, qui croyant que c'était comme les années précédentes, affluer à nos portes pour rompre le jeûne et repartir le ventre creux, nous avons eu les larmes aux yeux, nous sentant presque coupables d'abandonner une tranche de population à sa faim”.