La démarche à suivre est aussi longue qu'éprouvante. Des centaines de requêtes de kafala déposées depuis des mois, voire des années, sont en effet toujours en attente au niveau des services administratifs chargés des dossiers de l'immigration et au niveau des services sociaux et judiciaires algériens. L'ensemble de la procédure peut prendre jusqu'à trois ans. Les multiples allers et retours entre les deux pays supposent des frais de transport aérien, d'hébergement — pour ceux qui n'ont pas de famille en Algérie —, de séjour et bien entendu toutes les dépenses liées à la traduction des documents et la demande de visa pour l'enfant. Il faut, en effet, traduire en arabe les documents délivrés à l'étranger et inversement en français, les papiers remis par l'administration et les autorités judiciaires algériennes en prévision du retour. La traduction d'une feuille en Algérie coûte 900 dinars. Ce chiffre est à multiplier au moins par dix, en raison du volume de l'ensemble du dossier kafala. Depuis que l'adoption a été interdite en Algérie et remplacée par ce qu'on appelle en droit musulman la kafala judiciaire, les choses sont devenues, en effet, plus compliquées pour les ressortissants algériens désirant adopter un enfant dans leur pays d'origine. La kafala n'induit pas un lien de filiation, mais impose au kafil (tuteur) de considérer l'enfant comme le sien et de prendre en charge son entretien, son éducation et sa protection. Seulement, elle ne cadre pas avec les procédures d'adoption classiques en vigueur dans certains pays européens. Du fait de sa non-ouverture à l'adoption internationale, le recueil par kalafa d'un enfant né en Algérie n'entraîne pas de plein droit son adoption en vertu des lois françaises, par exemple. Souvent les parents, désirant recourir à une adoption, se perdent dans le labyrinthe des démarches à entreprendre et l'interminable liste de documents administratifs à fournir. En France, pour ne citer que ce pays où la communauté algérienne est très forte, afin de garantir un maximum de succès au parcours qui mène à la kafala judiciaire, il faut obtenir l'agrément français délivré par le Conseil général au niveau du service chargé des questions d'adoption, dans le département de résidence. La requête peut prendre jusqu'à neuf mois, selon Katia candidate à une adoption en Algérie. Car, remettre cet agrément aux autorités consulaires françaises en plus des pièces demandées permet l'obtention du visa dans un délai moins long, semble-t-il. En l'absence de ce précieux papier, le consulat peut décider de diligenter en France une enquête sociale sur la famille ayant recueilli l'enfant par kafala, entraînant, ainsi un allongement des délais. En novembre 2007, les autorités consulaires algériennes ont reçu pour consigne de leur ministère de tutelle, de ne plus accepter de demande en kafala si le requérant n'a pas obtenu l'agrément français. Cette exigence a été supprimée en mars 2010 pour des considérations qui restent inexpliquées du côté algérien. La requête de toute personne, qu'elle soit algérienne ou binationale (franco-algérienne), pour une kafala judiciaire doit passer par la suite par le consulat d'Algérie du lieu de résidence. Il faut savoir que l'agrément des autorités algériennes est valable un an. Il faut aussi penser à faire retranscrire au consulat algérien, les actes de mariage, de naissance en arabe pour ne pas avoir à le faire en Algérie. “J'ai adopté une petite fille en 2002. Elle a aujourd'hui 8 ans. Nous avons reçu dernièrement une réponse favorable pour la nationalité française ; avec ce document nous pourrons demander l'adoption ici et l'inscrire sur le livret de famille. Il est possible de prendre un enfant d'Algérie. Seulement il faut s'armer de courage et de patience”, témoigne Fadéla. Lotfi se souvient : “J'ai adopté une petite fille, il y a deux ans. C'était un peu long mais ça a abouti. Il ne faut pas baisser les bras, il y a beaucoup d'enfants qui attendent un sort meilleur là-bas. Surtout les garçons, car les gens résidant à l'étranger choisissent généralement de prendre des filles, considérant qu'il est plus difficile de gérer un garçon dans une société occidentale”. L'indispensable visa La Direction de l'action sociale (DAS) est le premier contact à établir en Algérie pour y retirer le dossier et le déposer à la pouponnière choisie. à ce niveau, des échanges avec la psychologue et/ou l'assistante sociale et/ou le responsable, sont incontournables. Ensuite, il faut aller chercher l'acte de naissance de l'enfant à la mairie de son lieu de naissance, déposer le dossier de kafala auprès du tribunal compétent et constituer le dossier de concordance des noms auprès du ministère de la Justice. Et tout n'est pas fini. Après cette étape, il faut obtenir la kafala judiciaire, une ordonnance autorisant votre enfant à sortir du territoire national et une seconde ordonnance lui permettant d'obtenir un passeport individuel. Le choix du tribunal où déposer le dossier nécessite une adresse à faire valoir en Algérie, laquelle peut être celle d'un membre de la famille mais aussi celle de l'hôtel où le couple s'installe le temps de l'aboutissement des démarches. L'autorisation de sortie du territoire a une durée de validité d'un mois. Il faut donc, entre-temps avoir achevé les procédures avec la pouponnière et la DAS, ainsi que les démarches auprès du consulat pour la délivrance du visa. à ce niveau, ce n'est pas gagné d'avance. C'est même là que les choses se compliquent. L'adoption plénière n'étant pas admise en droit algérien, les enfants algériens recueillis par voie de kafala ne peuvent bénéficier de visa simple pour adoption. Ils peuvent toutefois se voir délivrer d'autres types de visa permettant leur entrée en France ou un autre pays étranger. Pour la France, la procédure est différente selon que le kafil est de nationalité algérienne ou française. Pour le kafil de nationalité algérienne, la demande de visa est instruite à l'issue d'une procédure de regroupement familial et cela en vertu des dispositions du protocole annexé à l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leur famille. Le kafil destinataire d'une décision favorable de regroupement familial doit introduire sa demande de visa pour l'enfant dans un délai qui ne peut excéder six mois à compter de la notification de cette décision. Le kafil de nationalité française pourra, lui, déposer auprès de ce même consulat une demande de visa de long séjour “visiteur” au profit de l'enfant ayant fait l'objet d'une décision prononçant son recueil légal. Même avec un visa, l'enfant risque toujours l'expulsion Il faut savoir qu'en France même avec un visa, l'enfant risque toujours l'expulsion. Difficile, effectivement de faire reconnaître l'enfant dans son pays d'adoption, qui n'assimile pas nécessairement le concept de l'adoption au sens maghrébin. L'Association des parents adoptifs recueillis par voie de kalafa (Apaerk), informe les parents désirant adopter en Algérie, sur les démarches à suivre, les conseille et les assiste dans leurs démarches. Sur son site, cette association rapporte que la cour d'appel de Chambéry a rejeté, en 2008, la demande d'adoption d'un couple, au motif que l'article 46 du code de la famille algérien interdit l'adoption, tandis que l'article 116 de ce même code définit la kafala comme l'engagement bénévole de prendre en charge l'entretien, l'éducation et la protection de l'enfant comme le ferait un père pour son fils. Convaincus qu'en refusant le bénéfice d'une adoption plénière ou simple à une enfant algérienne abandonnée, recueillie en vertu d'une décision de kafala, la cour d'appel a violé la Convention de New York relative aux droits de l'enfant, les époux se pourvoient en cassation. La haute juridiction judiciaire rejette leur pourvoi. Dans un arrêt du 15 décembre 2010, elle retient que la kafala, expressément reconnue par la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, préserve l'intérêt supérieur de l'enfant. Il faut savoir qu'alors même s'ils bénéficient d'un agrément de leur département de résidence, ces parents éprouvent de très grandes difficultés à obtenir les visas. Les délais d'octroi des visas sont extrêmement longs. Entre trois à six mois au minimum. Cette attente n'est pas sans conséquence pour les familles adoptives, qui doivent entreprendre un véritable parcours du combattant : difficultés professionnelles, séparation très longue d'avec l'enfant recueilli, aller-retour souvent extrêmement coûteux. Il faut ajouter à cela l'absence de droits sociaux tels que le congé d'adoption ou l'inscription à la Sécurité sociale. Djamel B. revient sur son expérience d'adoption. “Le parcours est long pour obtenir un agrément français et une fois que tu obtiens un avis favorable tu dois te battre là-bas en Algérie pour avoir les documents officiels en un temps record mais cela en vaut la peine. Seulement un autre combat s'ouvre en France pour essayer d'obtenir l'adoption plénière”. Si Djamel s'est battu pour régulariser la situation de son enfant, d'autres parents adoptifs se contentent uniquement de ne pas quitter à nouveau le territoire français de crainte d'une expulsion. Des députés français et des membres du gouvernement ont été saisis par courrier par des associations activant dans le domaine dans une ultime tentative de les sensibiliser sur cet épineux problème. La sénatrice Mme Alima Boumediene-Thiery a attiré l'attention du ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire sur les conditions d'accueil, sur le territoire français, des enfants abandonnés et recueillis par kafala judiciaire en Algérie et au Maroc par des familles françaises titulaires d'un agrément français délivrés par les services d'adoption de l'aide sociale à l'enfance. Elle explique : “L''inquiétude est réelle, les familles adoptantes se retrouvent bloquées avec leur enfant en Algérie et au Maroc, faute de délivrance de visa pour ces enfants malgré une autorisation de sortie de territoire de l'enfant par le juge compétent. Je souhaite donc aujourd'hui interpeller le gouvernement sur un sujet qui préoccupe de nombreuses familles françaises ayant choisi de recueillir dans leur foyer un enfant abandonné par la voie de la kafala judiciaire, une procédure qui concerne exclusivement le Maroc et l'Algérie et se substitue, dans le droit interne de ces pays, à la procédure de l'adoption, institution qu'ils ne reconnaissent pas”. Selon elle, la kafala judiciaire est un parcours sécurisé, encadré et structuré qui permet le placement d'un enfant abandonné dans un foyer, sous le contrôle strict d'un juge. Il s'agit en réalité d'une mesure proche, quant à ses effets, de l'adoption simple. “Cette situation est liée à un problème très simple : l'absence de consignes et de circulaires des services compétents concernant le traitement spécifique des demandes de visas de parents recourant à la procédure de la kafala. Le problème a trait à l'arrivée légale en France des enfants. Nombre d'enfants entrent de façon illégale parce qu'ils ne peuvent pas obtenir de visa pour rejoindre leurs parents adoptifs. M. le secrétaire d'Etat, nous nous réjouissons que la circulaire que vous avez évoquée ouvre aux enfants recueillis par kafala les mêmes droits sociaux qu'aux enfants placés sous une autorité parentale déléguée, mais il serait souhaitable qu'on leur permette également d'obtenir plus facilement des visas pour arriver sur le sol français dans une situation légale”, plaide-t-elle. N. H. Repères ll Selon les chiffres 2010, environ 21 000 enfants privés de famille ont été pris en charge dans le cadre de la kafala en Algérie, sur un total de 29 000 enfants privés de famille ou nés hors mariage. La fréquence des naissances illégitimes est de 3 000 naissances par an avancent les officiels, carrément le double d'après le mouvement associatif se préoccupant des femmes et des enfants en détresse. 15 000 enfants ont été recueillis, ces dix dernières années, en kafala par des familles résidant dans le pays et près de 3 000 autres ont été repris par leur mère ou autres membres de la famille. Dans le pays, il existe 35 foyers d'accueil et 3 centres de formation destinés aux encadreurs.