Quand on dit chanson raï, on pense systématiquement à cheb Khaled, Mami, Hasni, cheikha Rimiti, Zahouania, Djinia El Hakania…. Ces artistes occupent le devant de la scène musicale algérienne – et internationale pour certains –vulgarisant ce genre musical tant décrié dans le passé, car banni officiellement par la morale. Certains chanteurs sont devenus les ambassadeurs de la chanson raï à travers le monde, alors que ses précurseurs sont quasiment restés dans l'anonymat. Pour que ce genre soit arrivé à s'imposer, quel parcours a-t-il suivi ? Qu'en est-il exactement de l'origine du raï ? C'est autour de cette que Hadj Meliani et Boumedien Lechleche – “deux chercheurs et pontes de la musique algérienne” comme annoncé par le modérateur, notre confrère Smaïl K.– sont intervenus mercredi dernier, en soirée, à l'espace Mille et Une News. Dans son intervention, Hadj Meliani a brossé le tableau de l'aventure de la chanson raï, déclarant que sa première étude sur cette musique remonte à plus de trente ans, et que “30 ans après, on est encore à lui [la chanson raï, ndlr] demander des comptes et à justifier ce qu'elle est aujourd'hui”. Et de renchérir : “Les intellectuels ont participé à ce jeu”, celui de la justification de l'existence de cette musique qui n'a pas le droit de cité aux yeux des officiels. Par ailleurs, explique-t-il, au début des années 1980, plus précisément en 1983, il y a eu une inversion de la vapeur. Avec l'apparition d'un jeune chanteur, venu des quartiers populaires de la ville d'Oran : cheb Khaled. Deux ans plus tard, toujours dans la capitale de l'Ouest algérien, est organisée la première édition du Festival de la chanson raï. Une action politico-culturelle qui a donné au raï ses lettres de noblesse : une “déghettoïsation”, une existence et un ancrage réels, par ricochet une popularité au-delà des frontières de l'Oranie. Cet engouement soudain est la preuve, d'après M. Meliani, que la chanson raï (une lexie qui signifie “opinion”, voire “conseil”) correspond aux attentes de la jeunesse algérienne, car relatant le quotidien de cette frange de la société (chômage, déboires, amour…). Avec Khaled, Mami, Fadéla et Sahroui, Nasro… c'est l'exportation du raï, créant un véritable “buzz”, en Europe, en Orient et même en Amérique. Les experts occidentaux la qualifient de “révolution” musicale. Le raï : un phénomène évolutif ? Pour comprendre, les deux intervenants se sont accordés à déclarer qu'il ne faut pas chercher du côté de l'origine, mais poser, comme l'a d'ailleurs fait Hadj Meliani, la ou les bonnes questions, à savoir : pourquoi les gens écoutent la chanson raï ? Pourquoi ça marche bien ? Si le succès sans conteste du raï est dû au fait que ce genre parle à son public, Boumedien Lechleche va plus loin affirmant que c'est la résultante normale du “changement qui a touché toute la société algérienne”. Selon lui, le raï – ce genre musical purement féminin, un chant de résistance né dans les vendanges lors de la colonisation, appartenant aux ouvriers agricoles – se caractérise par le brassage ou “les branchements” selon les anthropologues. D'après M. Lechelche, cette évolution a connu des étapes négatives, caractérisées entre autres par la perte du “quart de temps”, cassant ainsi la structure musicale classique, d'où “l'esprit d'ouverture et le développement de la musique instrumentale”. Deux précisions, de taille, ont été également avancées par l'intervenant. La première est relative au fait que le raï n'a rien à voir avec le wahrani qui lui est classé dans la chanson moderne algérienne (en 1964, lors d'un colloque en Algérie sur la musique). Quant à la seconde précision, elle avance que l'essence de la musique raï est berbère – décelée dans certaines chansons de cheikha Rimiti. Une musicalité qui a cohabité avec les autres influences, créant le brassage que l'on connaît aujourd'hui. Une esthétique du rythme Abordant la question des paroles dans la chanson raï, les deux conférenciers ont été unanimes à dire que “si l'on procède à un toilettage”, elle perdra de son originalité. L'autre argument avancé est celui de la valeur esthétique dans le raï qui “n'est pas basée sur le texte mais sur la musique et le rythme. Des onomatopées qui enrichissent le rythme. Tout est basé sur l'improvisation”, ont-ils déclaré. Le raï, phénomène musical national avant d'être international, tient ses origines de l'Ouest algérien, comme tout genre musical, il a connu des brassages qui ont contribué sans conteste à son internationalisation. Pour le comprendre, il est nul besoin de chercher d'où il vient, mais de connaître son évolution.