Le documentaire Happy World dénonce les absurdités de la dictature militaire en Birmanie en s'intéressant à leur impact sur la vie quotidienne des Birmans. Réalisé par Gaël Bordier et Tristan Mendès-France en 2009, son titre est la promesse d'un voyage original pour plusieurs raisons. D'abord l'angle du sujet, ou comment faire la critique d'une des pires dictatures au monde par l'humour et la satire. Le dessinateur de BD Guy Delisle avait commis un petit bijou dans le même esprit sur son année passée en Birmanie entre 2005 et 2006. L'histoire de son tournage, son mode de production culotté et au-delà du webdocumentaire, une expérience innovante d'hyper-vidéo. En 2008 Tristan Mendès-France, blogueur et journaliste, découvre un billet sur le musée birman de la drogue totalement absurde. De fil en aiguille, il amasse une collection d'histoires qu'il présente au producteur Pierre Cattan : “Quand j'ai commencé à avoir une collection homogène sur ce sujet j'en ai parlé à Pierre en n'y croyant pas du tout. Il s'est pris au jeu et m'a présenté Gaël Bordier.” Emballés par le sujet, ils se lancent dans l'aventure en 2009 avec en tête l'idée de réaliser un documentaire de 52 minutes pour les chaînes de télévision. Une production en mode Creative Commons Le documentaire hyper vidéo 1 Happy World est diffusé en Creative Commons sur le web. Pourquoi un tel choix pour une petite compagnie de production ? “Le 52 minutes que nous avions en tête a été refusé par France 5, Canal + et Arte. Je n'ai pas voulu renoncer. C'est le livre de Chris Anderson, Free, sur l'économie de la gratuité, qui m'a convaincu de sauter le pas et d'innover. La version de 30 minutes en ligne sous licence Creative Commons, non commerciale, nous permettra je l'espère, de vendre la version longue à des télévisions dans le monde entier. Le reste est aléatoire.” Aléatoire? Des opérations de crowdfunding sont mises en place le jour de la sortie du documentaire, à travers Flattr et Paypal. L'équipe de Cinquième étage production a fini par obtenir un pré-achat de 7000 euros de la chaîne Planète pour la diffusion et a financé le reste sur ses fonds propres, soit 97 000 euros. Les sommes dépensées en production ont financé le contenu et le marketing éditorial, soit des contenus qui voyagent de façon autonome et qui redirigent les internautes vers le film. Pierre ajoute: “Nous n'avons pas fait un film associatif. Nous avons payé toutes les personnes qui ont travaillé pour nous. C'est le résultat d'une longue stratégie de 5e étage qui a consolidé son autonomie en prenant le temps de constituer un vrai studio avec salle de montage, de mixage, cabine d'enregistrement de son, et studio d'animation.” Un mode de diffusion inspiré par WikiLeaks “Pour la diffusion,” continue Pierre Cattan, “c'est WikiLeaks qui nous a inspiré pour la mise en ligne progressive des contenus, les partenariats avec des médias sérieux et réputés.” Prochaine étape, démarcher les médias internationaux, dont le New York Times. Le mode de production choisi permet aussi d'être indépendant et en total autonomie à la manière des producteurs américains. La production finance un premier projet sur ses fonds propres et les fonds récoltés avec le premier film permettent, dans l'idéal, de financer le second film. “Si ce modèle marche, nous continuerons à produire un webdoc par an de cette manière. Nous aurons un succès d'estime si nous n'avons pas de succès commercial. Ce sujet vaut tous les risques commerciaux, qui sont mesurés” dit Pierre Cattan. À tournage risqué, dispositif ingénieux Les journalistes n'étant pas les bienvenus en Birmanie, il est d'usage de se faire passer pour un touriste. “Nous avons pris des précautions mais en même temps, nous ne sommes pas allés dans des zones de guerre, nous n'avons pas cherché à rencontrer des opposants en action,” raconte Tristan. “Nous étions donc moins exposés aux radars de la police”. Gaël complète : équipés d'une petite caméra et d'un matériel son professionnel, les deux réalisateurs ont joué le jeu à fond avec un dispositif minuté, mis au point par Gael Bordier : “Nous devions faire quatre prises, un plan large et un plan serré dans chaque langue (fr/en) alors que la prise de risque augmente dès qu'on reste trop longtemps dans un même endroit à refaire la même scène”. Jouer les touristes et ne pas se faire prendre, être attentif et continuer son enquête. Tristan qui a toujours été derrière l'écran, ajoute : “Il fallait tourner très rapidement. Si je ratais une prise, il fallait la refaire tout de suite. Je ne suis pas habitué à être devant la caméra, c'était la première fois. Ça a été tendu et parfois très laborieux. On a tout écrit sur place.” Suite sur Owni.fr