Les réformes politiques en Algérie sont en passe de devenir un véritable serpent de mer : tout le monde en parle, mais bien peu de gens en ont vu. Invités vendredi soir par la Laddh, les deux universitaires Mohamed Hennad, enseignant des sciences politiques et Nacer Djabi, sociologue, ont tout à tour décortiqué, au cours d'une conférence-débat à l'hôtel Essafir, les enjeux inhérents aux réformes politiques en Algérie. De la manière dont elles sont conduites, pour l'heure, aux divers scénarios susceptibles de survenir dans un proche avenir ou encore le rôle de la société civile, les deux universitaires sont unanimes à relever que “l'Algérie ne peut rester dans l'état actuel”. Pour Mohamed Hennad, les réformes auraient gagné en crédibilité si les dirigeants avaient fait quelques gestes forts comme l'organisation d'élections anticipées ou encore le changement de gouvernement. “Depuis 1962, on reproduit les échecs. On s'attendait à ce que les réformes soient suivies d'un changement de gouvernement et d'élections législatives anticipées. Il faut un débat très large”, soutient-il. L'universitaire trouve “curieux” de revoir des textes de loi avant la loi fondamentale. Et d'ores et déjà, il voit que ces réformes consacreront la prépondérance du sécuritaire. Pour n'avoir pas été le fruit de négociations, ces réformes, soutient-il encore, “avancent dans l'obscurité tous feux éteints”. Raisons ? “Le régime ne dispose pas de légitimité pour mener les réformes, il est incapable de s'élever au plafond imposé par les révolutions tunisiennes et égyptiennes”, “absence de pression populaire forte en dépit du désir chez la société pour le changement” et enfin “l'état de santé du Président”. Selon Hennad, le régime est appelé à “passer le flambeau” et à “ouvrir le champ politique et médiatique pour laisser s'élaborer au sein de la société les objectifs qu'elle recherche”. Il a jugé, enfin, impératif le renouvellement des partis politiques frappés d'obsolescence. Figure médiatique, Nacer Djabi s'est focalisé sur l'impasse de la transition en Algérie. Selon lui, deux scénarios peuvent survenir : un changement en douceur ou le chaos. Considérant que la vie politique en Algérie est encadrée par trois générations, celle de la révolution, rurale, qui décide et dirige encore, celle de l'après-guerre citadine qui gère mais ne décide pas et la troisième, celle qui a vécu dans la crise et constitue l'essentiel du mouvement social d'aujourd'hui, Nacer Djabi soutient que le premier scénario est de voir le pouvoir passer le flambeau à la deuxième génération. Ce scénario aura le mérite de provoquer un changement en douce, sans rupture avec les traditions nationalistes, mais nécessitant des compromis. Second scénario : c'est de voir la première génération refuser cette perspective auquel cas elle sera confrontée à la troisième génération avec laquelle les ponts sont presque inexistants. “Ce scénario signifie la rupture et là la transition se fera dans la violence”, estime Djabi. Les conditions sont-elles favorables ? Pêle-mêle, le sociologue évoque “la situation financière du pays”, susceptible d'être un facteur facilitateur ou à l'inverse bloquant, la “maturité” du peuple algérien, “les pressions étrangères”, “les instruments de la culture politique”, “la démission de la classe moyenne”, “le problème de langue”, “la division de la société, l'égoïsme”, “une opposition à renouveler”. Mais les deux universitaires sont unanimes à relever qu'il n'y pas de changements sans société civile.