Résumé : le médecin de garde apprend à Hakima que les passagers du véhicule qui les avait heurtés étaient morts, et que le seul rescapé était leur enfant de quatre ans qui lutte contre la mort au service des soins intensifs. 17eme partie La jeune fille ferme les yeux un moment. Les voies du destin sont parfois bizarres. Au lieu d'adresser une prière à Dieu pour lui demander de maintenir ce petit en vie, elle se surprend à lui souhaiter de quitter au plus vite ce bas monde. - Et si ce petit reprend conscience et demande après ces parents… ? - J'avoue que je n'aimerais pas être la personne qui devrait lui expliquer qu'il ne va plus jamais les revoir. D'ailleurs, à cet âge on ressent vite le vide affectif, et dès qu'on ouvre les yeux, le premier mot qu'on prononce est : maman. Hakima sentit encore les larmes brûler ses joues. Cet enfant sera peut-être condamné à vivre comme elle dans un orphelinat. - A-t-il de la famille ? - Je pense que oui. J'ai vu ses grands-parents tout à l'heure. - Ses grands-parents ? Ils sont âgés ? - Pas vraiment… Mais ils ne pourront jamais remplacer les parents, à cet âge un enfant a plus besoin de la tendresse de ses parents que de celle des autres. Il revint à son chevet et prend ses mains entre les siennes : - Vous êtes une fille très sensible à ce que je vois. À votre âge, le contraire m'aurait étonné. - Vous ne pouvez comprendre l'état d'âme d'un orphelin docteur… Vous exercez un métier noble et vous tentez de soulager la douleur physique. Mais la douleur de l'âme, vous ne pourriez jamais la soulager. Elle n'a aucun remède. - Vous parlez avec beaucoup de sagesse. - Non… Dites plutôt que je parle en connaissance de cause. Le jeune homme hoche la tête et lui tapote l'épaule : vous êtes intelligente Hakima. Et même, bien mûre pour votre âge. Je suis désolé de vous rencontrer dans de telles circonstances. La discussion avec vous s'avère vraiment intéressante. Je suis navré pour votre mère et j'espère que le petit s'en sortira. Quant à vous, je sais que vous allez vous en sortir… Vous avez du caractère et beaucoup de personnalité…. et vous n'êtes pas de ceux qui baissent facilement les bras. Bonne nuit Hakima. Tâchez de vous reposer. Demain, nous reprendrons notre discussion. Il tint sa promesse. À chaque garde, il venait discuter de longues heures avec elle. Et à chaque garde, il lui donnait des nouvelles du petit rescapé de l'accident, qui demeura dans le coma plus d'une semaine. Lorsqu'il lui apprit qu'il avait enfin repris connaissance, Hakima poussa un long cri de joie, avant de se mettre à sangloter. Il lui avait aussi appris que le corps de sa mère avait été retiré de la morgue et récupéré par la famille. Hakima se sentit tout à coup coupable. C'était à cause d'elle que la dispute avait éclaté entre sa “maman” et le mari de cette dernière. Et c'était à cause d'elle aussi qu'elle avait quitté la maison. Elle avait provoqué tous ces malheurs, qui en un laps de temps avaient changé les données de sa triste existence. Et maintenant que va-t-elle devenir ? Elle se confia au jeune interne qui la rassura : - Tu n'y es pour rien Hakima. On ne peut rien changer à son destin. On ne fait que suivre ce qui a déjà été prévu pour nous. - Mais je t'assure que c'est de ma faute. - Cela ne peut pas l'être Hakima, voyons… - Si. J'y suis pour beaucoup. Les dernières images défilèrent devant ses yeux. Elle revit l'homme qui voulait abuser d'elle sans vergogne. Elle revoyait ses yeux globuleux et ressentait encore son souffle sur son cou lorsqu'il s'était rapproché d'elle. Et ce couteau qu'elle avait saisi pour le menacer. Et puis… Et puis. Elle se remet à pleurer, et le jeune interne dans un élan de tendresse la prend dans ses bras. Il la sentit si vulnérable, si tremblante qu'il se sentit lui-même tout remué : - Du calme… Du calme, Hakima… tout s'arrangera. C'est une mauvaise passe dans ta vie je le conçois, mais ne sois pas aussi désespérée. Bientôt tu quitteras cet hôpital et tout rentrera dans l'ordre. Hakima se dégage, le visage ruisselant de larmes : - Non… Rien ne s'arrangera… Je vais devoir retourner à l'orphelinat, et plus jamais, plus jamais je ne reverrais le visage de celle qui fut pour moi une maman durant de longues années. - Eh bien ! raison de plus pour lui rendre hommage, et travailler davantage à l'école. Tu ne pourras remonter la pente et atteindre un statut honorable qu'en faisant de bonnes études. Que veux-tu donc faire dans la vie Hakima ? Elle renifle et essuie ses larmes d'une main rageuse avant de répondre : - Je ne sais pas encore. Par contre, je vais tenter de décrocher au moins mon baccalauréat. C'était le rêve de ma “maman”, et je dois le réaliser. - Tu feras bien plus. Je sens que tu iras bien plus loin. Hakima baisse la tête et se met à jouer avec sa manche : - Avec mon statut de “fille assistée” je doute fort. (À suivre) Y. H.