“Ne vous représentez pas !” Cette supplique, sous forme de lettre ouverte rédigée en un livre de 260 pages, est adressée au président français par le journaliste Denis Jeambar. L'ex-patron de l'Express, aujourd'hui membre du conseil d'administration de Marianne, connaît bien le destinataire de son message qu'il a côtoyé et tutoyé en d'autres temps. D'une plume qui lacère le portrait de Nicolas Sarkozy, il dresse un bilan accablant de l'action du chef de l'Etat français qui se prépare à garder l'Elysée pour un nouveau quinquennat. Cela, Denis Jeambar le sait. Mais il ne le souhaite pas pour son pays. Nicolas Sarkozy lui-même semble avoir pris conscience de ses carences au point d'afficher désormais une nouvelle image. “Votre posture nouvelle, empreinte de dignité, n'est qu'un masque. On ne change pas de nature à 56 ans”, lance le journaliste qui croit deviner une “comédie”. Selon lui, “l'altitude élyséenne a aggravé la crispation narcissique” de M. Sarkozy, un homme au “tempérament débridé”, un “angoissé pathologique”, “insatisfait” et “suspicieux”, un “phalène affolé par la lumière” et dont la boussole “a perdu le nord”. Un personnage dont l'essence est le “bougisme”, un président “aveugle” qui a instauré un régime “monolithique, voire absolutiste”, qui “ne songe pas à la France mais aux élections”. Et qui se retrouve “piégé dans le ghetto de l'argent”. “Aucun dirigeant français n'a, dans le passé, à ce point radicalisé la place de l'argent dans notre société”, déplore Denis Jeambar. Et de supplier : “Réfléchissez, monsieur le président au spectacle que vous avez offert aux Français et ne vous représentez pas”. L'argent est justement le principal sujet du second livre consacré à celui qu'on appelle le président des riches. Sarko m'a tuer des journalistes du Monde Fabrice Lhomme et Gérard Davet, qui relance avec fracas l'affaire Bettencourt, rassemble moult déclarations inédites de personnalités à charge contre Nicolas Sarkozy et son entourage. Ces “maudits de la Sarkozie”, “avec leur part de subjectivité”, écrivent les auteurs, n'épargnent ni M. Sarkozy ni son entourage dont l'actuel ministre de l'Intérieur, Claude Guéant. S'y expriment notamment l'ex-Premier ministre Dominique de Villepin, l'ex-journaliste de TF1 Patrick Poivre d'Arvor, le président du conseil général des Hauts-de-Seine Patrick Devedjian, l'ancien sous-préfet Gérard Dubois, l'ancien PDG de la banque Société Générale, Daniel Bouton, l'ex-directeur des Renseignements généraux (RG), Yves Bertrand, l'ancien haut fonctionnaire, Yannick Blanc, évincé en 2006 pour ses critiques de la politique d'immigration de M. Sarkozy ou l'ex-conseiller Abderahmane Dahmane, la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui a instruit un volet de l'affaire Bettencourt. Les phrases de Dominique de Villepin sont particulièrement cruelles. Si on tend une main à Nicolas Sarkozy, il finira par la mordre. Et si on est son adversaire on est voué au bûcher. M. Dubois fait part, pour la première fois, de son éviction de la préfecture de police de Paris (PP) en 2005 pour s'être répandu, – ce qu'il dément –, sur la vie privée de M. Sarkozy et narre “brimades, vexations et humiliations”. M. Bertrand, après ses fameux “carnets secrets” sur les affaires, se lâche contre M. Sarkozy. Il révèle avoir été passé à tabac en février 2011 à Paris en guise, dit-il, d'“avertissement”. M. Blanc rapporte avoir été placé sous écoute à l'époque où il conseillait la candidate socialiste à la présidentielle Ségolène Royal. L'ancien policier Jean-Pierre Havrin, aujourd'hui adjoint au maire (PS) de Toulouse, père de la police de proximité évincé par Nicolas Sarkozy en 2003, fait part du vol de son ordinateur en 2010 au moment de l'écriture de ses mémoires. Pour M. Bouton, l'objectif du président Sarkozy, furieux de ne pas avoir été prévenu plus tôt de l'affaire Kerviel, a été “de se (le) payer physiquement”. L'ancienne ministre du Logement, Christine Boutin, écartée du gouvernement en 2009, dénonce “l'indifférence absolue” du président et dit avoir été “vidée violemment”. Dans l'affaire de mouvements suspects sur les comptes du député (PS) Julien Dray – qui s'est soldée par un rappel à la loi –, les auteurs du livre assurent qu'“une source proche de l'Elysée” a révélé l'affaire à la presse. Sarkozy a “humilié trop de gens”, tranche PPDA tandis que l'ancien conseiller de Michèle Alliot-Marie à la Chancellerie, David Sénat, soupçonné de fuites dans l'affaire Bettencourt, affirme que l'Elysée a cherché à mouiller l'un des avocats ténors de cette affaire via une enquête criminelle. La principale révélation émane d'Isabelle Prévost-Desprez. La magistrate a mis en cause Nicolas Sarkozy en rapportant qu'un témoin lui avait dit l'avoir vu recevoir de l'argent liquide chez le couple de milliardaires Bettencourt avant son élection à la présidence en 2007. Une accusation évidemment démentie par l'Elysée. La magistrate affirme que l'un des témoins, dans l'entourage de Liliane Bettencourt, “(lui) a dit qu'il avait vu des remises d'espèces à Sarko” tout en demandant que ces propos de figurent pas sur le procès-verbal. Pour appuyer ses accusations, la juge Prévost-Desprez précise que l'ancienne infirmière de Liliane Bettencourt avait “confié à sa greffière, après son audition par elle : "J'ai vu des remises d'espèces à Sarkozy mais je ne pouvais le dire sur procès-verbal"”. Ce n'est pas la première fois que des soupçons de financement illicite de parti politique planent sur l'UMP pour la campagne présidentielle de 2007. L'ex-comptable des Bettencourt, Claire Thibout, avait déclaré avoir eu connaissance d'une remise de fonds via l'ancien ministre Eric Woerth. Elle avait également évoqué des remises d'espèces au profit de diverses personnalités politiques, dont Nicolas Sarkozy, sans en avoir été directement témoin. Dans Sarko m'a tuer, Claire Thibout dit aussi avoir eu l'impression d'être poussée à changer de version par les policiers et d'être victime d'un “acharnement”. Tout en se disant “frappée” par “la peur des témoins”, effrayés “de parler sur PV (procès-verbal, ndlr) à propos de Nicolas Sarkozy”, Isabelle Prévost-Desprez sort de son devoir de réserve. Au risque de se voir sanctionnée.