La révision du code de la famille (ainsi que d'autres dossiers importants) ne figurait pas sur la liste des priorités “assénées au gouvernement de l'époque”. Liberté : Une commission vient d'être installée par le ministre de la Justice pour procéder à la révision du code de la famille. Quel est votre commentaire en tant qu'ancienne ministre déléguée chargée de la famille et de la condition féminine ? Mme Boutheïna Cheriet : Je suis assez surprise puisque, il y a à peu près six mois, il a été décidé, lors d'un Conseil des ministres, qu'au moins trois projets ne vont pas être présentés au Parlement, il y a le projet de loi sur les hydrocarbures, le code de l'information, le projet de loi sur le foncier agricole et le code de la famille, alors qu'un travail de préparation assez important avait été fait par le ministère chargé de la Famille pour porter le débat au niveau de toutes les couches de la société algérienne grâce à la presse. En parallèle, des contacts ont été établis avec les milieux professionnels capables d'apporter les modifications nécessaires pour réviser les articles du code de la famille qui ne convenaient absolument pas à la dynamique de la société algérienne, une société aspirant pleinement à la modernité et à la dignité humaine. Bien que nous saluions le fait que les pouvoirs publics reviennent sur la décision initiale et que nous souhaitions que cette décision soit sincère et profonde et qu'elle se fasse dans la transparence la plus totale avec les acteurs concernés, nous nous étonnons toutefois de cette volte-face. Quels sont les arguments qui ont été avancés justement pour retarder le traitement de ce dossier ? Les arguments avancés concernaient les priorités assénées au gouvernement de l'époque. Ces priorités portaient sur le secteur économique et social, alors que nous savions que le code la famille aurait dû être une priorité il y a vingt ans. Que dire aujourd'hui, lorsque nous savons que des centaines de familles algériennes sont prises en charge par des mères ou des sœurs qui méritent d'être protégées par une législation qui soit à la hauteur de leurs sacrifices ! Le travail fait au préalable par le ministère délégué visait surtout à casser cette bipolarité de dialogue de sourds qui existait entre les chantres de l'abrogation du code, combattus de façon véhémente par les protagonistes qui mettaient en avant la sacralité du code interprété de façon erronée comme étant basé sur la charia. Grâce à la presse algérienne, nous avons démontré à l'opinion publique que les articles qui minorent la femme algérienne n'ont rien à voir avec la philosophie de la dignité humaine qui prévaut dans la société musulmane, ni avec les traditions de hourma de la société algérienne qui n'ont jamais admis que l'on jette à la rue des femmes et des enfants. Nous voulions également qu'il y ait un consensus total et transparent à propos de la commission qui révisait le code de la famille. Une commission qui devait aussi être formée de professionnels de la question dans sa composante, et là j'insiste, de 50% de femmes qui couvrent tous les domaines et spécialités : le droit positif, la charia et le fiqh et les sciences sociales. L'objectif était d'aboutir à une codification digne des sacrifices de la société algérienne et qui concerne les droits et les obligations de chacun dans le cadre des lois de la République. On s'est beaucoup étonné que je dise que le code sera, entre autres, basé sur une lecture transparente et historique de la charia pour rétablir le droit des femmes algériennes. Je le répète encore, cela est possible. Je me demande si l'exemple récent de la révision de la moudaouna marocaine, portant statut personnel et donnant un rôle plus positif aux femmes marocaines, n'a pas un petit peu inspiré ou provoqué cette décision de réviser le code de la famille. Justement, est-il possible sur le plan pratique d'arriver à la confection de ce projet de révision, alors que quelques mois seulement nous séparent de l'élection présidentielle ? Je suis tout à fait d'accord. Il est parfaitement opportun ici de douter de l'aboutissement d'une telle décision et les arrière-pensées qui sous-tendent cette décision. Des questions se posent. Peut-on véritablement, en six mois, apporter des modifications à une loi ? Cela devrait se faire, cependant, dans un climat qui demande à ce que le débat soit serein et reste loin des calculs politiciens, tel que je l'ai toujours préconisé. Rappelons-nous, les Marocains ont pris en charge la question de la femme au moins depuis cinq ans, depuis l'arrivée de Mohammed VI au trône. Ce n'est qu'après cela que le Makhzen a installé une commission de la révision de la moudaouna. Toute la légitimité royale du souverain marocain a appuyé le travail. En Algérie, nous sommes en démocratie, et ce travail doit se faire dans toute la transparence requise en démocratie. Il faut insister aussi sur le fait qu'en Algérie, nous ne voulions pas uniquement apporter des modifications “cosmétiques” au code de la famille. Nous voulons qu'il représente véritablement les acquis révolutionnaires de la société algérienne, en matière de citoyenneté universelle dans une Algérie amazigh, arabe et musulmane. On voulait inviter les personnalités qu'il faut, qui connaissent la charia, dans sa dimension historique, et qui peuvent admettre le statut totalement souverain et majeur de la femme dans la famille, à condition, je le répète, que nous ayons des gens qui connaissent et manipulent parfaitement les préceptes de la pensée islamique lesquels sont fondamentalement basés sur la dignité et la libération de l'individu de tous les liens d'esclavage. Ajoutez à cela les avancées énormes de la société algérienne, à force de sacrifices, vers la modernité que l'on construit à partir de ces sacrifices. Qui pourrait aujourd'hui dénier en Algérie le rôle fondamental de la femme dans l'émancipation de toute la société algérienne, avec toutes ses composantes culturelles et historiques. S. R.