J'ai toujours entendu parler de Mourad Bourboune. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. Peut-être est-ce dû à un ami, Fateh, poète et pote qui était son cousin germain, peut-être est-ce dû à un cousin, lui aussi poète et pote qui ne jurait que par les rimes bourboniennes. Peut-être est-ce dû à la résonance de son nom, Bourboune, qui rappelle les Bourbons au féru d'histoire que j'étais. N'importe, j'avais en tête l'image d'un poète qui n'aime rien moins que le bruit et la fureur, une sorte d'heureuse synthèse entre Rimbaud et Verlaine pour une fois réconciliés en un homme. C'est que très tôt on m'a fait connaître le militant en même temps que le poète à une époque où les écrivains préféraient se payer en mots plutôt qu'en engagement sur le terrain. C'est ainsi qu'il fut, dès 1956, l'un des leaders qui déclenchèrent la grève des cours dans les lycées de Constantine. Oui, monsieur, il aurait pu se contenter de taquiner la muse bien au chaud dans son dortoir, mais non ! Il est aux avant-postes. C'est qu'il n'est pas un simple rêveur, mais un poète de l'action. Féru de philosophie, il a appris de Montaigne qu'il faut toujours se poser ces deux questions : “Est-ce vrai ? A-t-il raison ?” Ces deux questions il les a appliquées à la réalité algérienne sous le joug du colonialisme. Oui, c'est vrai qu'on est oppressé, oui les militants de novembre 54 ont raison. Ciblé en Algérie, il part pour l'Hexagone où il devient, bien entendu, militant au sein de la Fédération de France. A l'indépendance, le voilà directeur de cabinet d'un ministre, le voilà président de la commission culturelle du FLN, le voilà haut-commissaire à la culture rattaché à la présidence de la République, le voilà démissionnaire dès 1964. Hein démissionnaire ? Et pourquoi donc ? La coupe était pleine. C'est qu'il a beau être poète, il n'idéalise rien. Ce n'est pas un poète officiel faisant de la propagande politique en même temps qu'il fait son miel en butin. C'est un poète qui n'a qu'une cause : celle de l'Algérie démocratique et libre, mais vraiment sous toutes ses déclinaisons : Liberté de créer, liberté de dire, liberté d'écrire. Ayant compris qu'il n'avait aucune liberté, pas même celle de respirer, il n'a pas attendu l'asthme de 1965 pour partir. Proprement. La tête haute. Il fera entendre sa voix, et surtout sa plume de poète et d'écrivain qui assiste médusé à la trahison des idéaux pour lesquels il a combattu. Tout ça pour ça. Meurtri dans son cœur et dans sa chair, il écrira Le mont des genêts, suivi en 1968 d'un autre roman Le muezzin. Le magazine The Times, dans son supplément littéraire, écrira : “La force de M. Bourboune fait qu'en maniant la langue de la vieille Europe, il met au jour une troisième identité qui est enfin celle de l'Algérie authentique.” Bien vu. Mais incomplet, car si Mourad manie avec art la langue française, cette troisième identité de l'Algérie authentique tarde à venir. Où ne viendra jamais, car l'Algérie, si sûre de son destin durant la guerre, emprunte depuis l'indépendance les chemins de traverse, comme si elle roulait tous feux éteints par temps de brouillard. Cet homme-là qui a connu Sartre, Beauvoir et toute l'intelligentsia de St-Germain et du café de Flore, ce scénariste, ce metteur en scène le voilà devant moi. Sans pose ni chichis. Il a la voix douce d'un poète heureux en amour qui a découvert que le monde n'est pas aussi beau que ses rêves. Ainsi m'est apparu Mourad Bourboune la première fois que je l'avais vu. Affable, mais pas faible, car j'ai très vite compris à son humour caustique que ce n'était pas un enfant de chœur. Il a du cœur, voilà tout. Ceux qui ont douté l'ont appris à leurs dépens, sa plume acérée lui permet de toucher le mou de n'importe qui. Mais il ne tue pas. Il cingle. Pourquoi tuer des morts ? Il sait que la vérité sort de la bouche des poètes. De sa bouche, lui l'enfant éternel qui n'a jamais cessé d'aimer sa mère : l'Algérie. H. G. [email protected]