six ans après sa mise en œuvre, la politique de réconciliation nationale a réduit la violence, qui continue néanmoins de s'exprimer à travers le fameux “terrorisme résiduel”. Mais sur le plan politique, son bilan est mitigé, en ce sens qu'elle n'aura pas permis au pays de s'extraire définitivement de la crise. La politique de réconciliation nationale chère au chef de l'Etat a-t-elle montré ses limites ? Présentée comme la panacée à même de débarrasser définitivement le pays de l'hydre terroriste, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, six ans après son adoption par référendum, n'a pas, à l'évidence, asphyxié les maquis de la guérilla islamiste qui, cet été notamment, a remarquablement repris du poil de la bête. Pas du tout revenus de leur rêve d'instaurer un califat d'un autre âge, les fous de Dieu sont restés de marbre face aux largesses, jamais sollicitées au demeurant, concédées par les autorités et continuent de semer mort et désolation. Et le dernier attentat terroriste ayant ciblé l'Académie militaire de Cherchell est un véritable pied de nez à une démarche qui n'a pas fini de faire des concessions à des personnes aux mains maculées de sang. Il est vrai que ce n'est pas la première fois que des institutions de la République sont prises pour cible, à l'image du Palais du gouvernement, au cœur même de la capitale, qui, le 11 avril 2007, a fait l'objet d'un attentat kamikaze. Il est tout aussi vrai que des sièges de la police et de patrouilles de l'armée ou de la gendarmerie subissaient souvent des attaques. Mais il ne viendrait à l'esprit d'aucun Algérien que les terroristes pouvaient un jour s'en prendre à l'Académie de Cherchell, cette pépinière de l'Armée algérienne. Même le chef de l'Etat n'a eu la vie sauve, en septembre 2007, que grâce à la bravoure d'un policier qui, au péril de sa vie, s'est jeté in extremis sur le terroriste kamikaze qui s'apprêtait à se faire exploser. C'est dire que depuis la promulgation de la Charte pour la paix et la réconciliation, de l'avis même de spécialistes de la lutte antiterroriste, le terrorisme islamiste a repris de la vigueur. Le général à la retraite Abderazzak Maïza, ancien chef d'état-major de la Ire région militaire et ex-commandant du secteur militaire d'Alger, a soutenu sans ambages que “la recrudescence des attentats est due aux événements qui se sont succédé depuis 2006”. Et une année seulement après l'adoption de la charte, l'émir national du GSPC, Abdelmalek Droukdel, annonçait avec fracas le ralliement de son organisation à Al-Qaïda d'Oussama Ben Laden avant de lancer, en 2007, une campagne d'attentats kamikazes qui avait jeté l'effroi dans le cœur des Algériens. Pour l'histoire, il faut souligner que nombre de partis et de personnalités politiques, du camp des “éradicateurs” comme de celui des “réconciliateurs”, se sont opposés publiquement à la démarche de Bouteflika, l'accusant d'avoir fait l'impasse sur le devoir de vérité et de justice tout en consacrant l'impunité. Même les familles victimes du terrorisme et celles de disparus n'ont pas caché leur mécontentement. Car on ne peut pas effacer l'horreur d'un drame de plus de 200 000 morts en décidant d'autorité de passer par pertes et profits les graves préjudices qu'il a occasionnés aux uns et aux autres. Du côté de la société, la charte est perçue comme une énième concession à l'islamisme radical de la part du pouvoir. Ragaillardis, les terroristes libérés de prison comme ceux descendus des maquis bombaient le torse et narguaient les familles de leurs victimes et leurs ennemis d'hier – les GLD, les Patriotes – qui, eux, sont sacrifiés sur l'autel de la nouvelle cause nationale : la réconciliation. Le patriote Ali Gharbi, qui a passé 10 ans de sa vie en prison pour avoir tué un ancien terroriste qui le menaçait, en connaît un bout de ce tragique revirement de l'histoire et de cette révoltante ingratitude des hommes. Résultat des courses : une démobilisation de la société et des services de sécurité. Pis encore, le capital résistance citoyenne engrangé pendant ces années de braise est dilapidé, et la confiance de la population en l'Etat, difficilement reconquise comme la foi en la justice, en ont pris également un coup. Et comme pour conjurer les désastres d'une politique qui prend eau de toutes parts, les officiels convoquent à tout bout de champ la magie de l'arithmétique – récemment Mourad Medelci a fièrement brandi comme un trophée de guerre le chiffre de 10 000 repentis – pour décréter le retour définitif de la sécurité en Algérie, rien que pour ne pas démentir le chef de l'Etat qui, en 1999, a pris un engagement ferme de rétablir la paix. Mais la réalité est là : le terrorisme islamiste continue de tuer. Pis encore, l'idéologie salafiste, matrice idéologique du terrorisme, se répand, par la grâce d'une permissivité criminelle, dans le corps social algérien en gagnant de nouveaux adeptes qui serviraient demain de chair à canon. La situation sécuritaire du pays en 2011 est-elle pour autant aussi dégradée que pendant la décennie noire ? Non. Sauf que la bataille militaire contre le terrorisme a été gagnée en 1998. Si, objectivement, on ne peut douter de la bonne intention du président Bouteflika de vouloir voir l'Algérie renouer avec la paix, force est de reconnaître que le modus operandi choisi pour y arriver n'a pas fait preuve d'efficacité. Deux raisons au moins expliquent cet échec : d'abord parce qu'on a voulu résoudre un problème (la subversion armée) en décidant de l'ignorer (l'absolution des terroristes de leurs crimes). Ensuite, on a cru naïvement qu'avec un peu de ruse et beaucoup de largesses, il est tout à fait possible d'amadouer les tenants du terrorisme islamiste qui, eux, n'ont jamais fait mystère de leur dessein : ils veulent le pouvoir, rien que le pouvoir, et par tous les moyens. Et pour y arriver ils se sont donné un credo : “La guerre est ruse”.