Les journaux sont aussi accusés de “pervertir l'image et la réputation de l'Algérie”, comme si, dans ce domaine précis, la presse pouvait rivaliser avec notre chef de l'Etat et ses courtisans. On attendait de Abdelaziz Bouteflika qu'il s'explique sur les scandales rapportés par la presse ces derniers mois, notamment ceux dans lesquels lui et son entourage sont dits impliqués jusqu'au cou. Au lieu d'assumer ce devoir de transparence que lui commandent ses fonctions et ses responsabilités, et de contribuer ainsi au triomphe de la vérité, notre chef de l'Etat préfère se placer en donneur de leçons à la presse. À coups d'allusions et d'accusations. C'est à ce rôle de redresseur de torts qu'il s'est essayé, hier, à Jijel. Aux yeux de M. Bouteflika, la presse est coupable de non-respect de la loi, de piétinement des “valeurs du peuple”, de pratiques qui “portent atteinte à la patrie” et de manque de “responsabilité”. Ce n'est pas tout, car les journaux sont aussi accusés de “pervertir l'image et la réputation de l'Algérie”, comme si, dans ce domaine précis, la presse pouvait rivaliser avec notre chef de l'Etat et ses courtisans. Avec un tel réquisitoire, les procureurs sont amplement instruits et savent ce qui est attendu d'eux s'ils tiennent à garder leur poste et à ne pas faire les frais d'un prochain “mouvement-au-sein-du-corps-des-magistrats-dans-le-cadre-de-la-réforme-globale-de-la-justice”. Chargés de la noble mission de faire triompher la justice par la vérité, les magistrats sont ainsi forcés à vivre un dilemme. Surtout qu'ils savent, comme le commun des citoyens de ce pays, que l'image de l'Algérie n'a jamais été aussi ternie que sous le règne de Bouteflika. Au plus fort de la crise, au plus fort de la violence terroriste, et alors que le monde décrétait de fait un embargo politique contre l'Algérie, il n'y avait que cette presse pour porter haut l'emblème de la résistance et l'espoir d'un possible lendemain démocratique. Bouteflika, lui, se pavanait alors dans les grands hôtels de Dubaï et d'Abu Dhabi. Il lui arrivait même, comme rapporté récemment par un de ses anciens amis, de regretter la baisse d'intensité des attentats terroristes. Il n'était sans doute pas le seul à voir dans le terrorisme un allié. Mais lui est devenu Président et a continué — du moins objectivement — à doper la subversion islamiste. Il est le premier chef d'état algérien à accuser ouvertement l'ANP d'avoir commis la première violence, faisant de la violence du FIS une réaction justifiée, une sorte de légitime défense. Il est le seul chef d'état algérien à parachuter frères et copains à la présidence de la république. C'est sous son règne que les rapports de toutes les ONG internationales montrent un recul net du pays en matière de démocratisation et de libertés. C'est sous son règne que près de 130 Algériens sont assassinés pour avoir réclamé justice. Tout cela, en effet, ne grandit pas l'image et la réputation de l'Algérie. Les récents scandales financiers, immobiliers, judiciaires et politiques non plus. C'est la faute à la presse, nous dit M. Bouteflika. Allons donc... S. C.