A moins d'une semaine des législatives marocaines, le taux de participation reste l'enjeu principal du scrutin. Les islamistes, toujours en embuscade, attendent patiemment leur heure. Si l'on en croit les échos qui nous parviennent de la campagne électorale des différentes régions du Royaume, le Maroc va connaître, vendredi prochain, un «non-évènement» électoral. Largement constaté, le désintérêt des marocains pour la chose publique n'est plus à démontrer. Cette tendance lourde ne fait que se confirmer de scrutin en scrutin. Mise à part la participation record au référendum sur la Constitution, les dernières législatives de 2007, le taux n'avait pas dépassé les 37%. Telle que pratiquée jusque-là au Maroc cette abstention des électeurs n'est pas toujours synonyme d'un caractère militant ou d'un acte politique. Néanmoins, cette non-participation traduit une cette attitude de défiance et mesure le fossé existant réellement entre la classe politique marocaine et les électeurs. C'est donc aussi l'expression d'un mécontentement voire même d'une position contestataire. Car si le vote n'est pas obligatoire au Maroc, le fait de ne pas voter doit être assimilé dans ce cas de figure à une « sanction » des électeurs. « La classe politique tourne le dos aux préoccupations légitimes des marocains. » nous assure Fatiha, une femme de ménage de 40 ans qui refuse de se rendre aux urnes. On ne peut pas dire, ainsi, que le « boycott actif » tel que prôné par le mouvement contestataire du 20 février et le mouvement islamiste El Aâdl wa el ihsane ait une réelle emprise sur le comportement de l'électeur marocain dont le refus de choisir se veut surtout comme une marque d'hostilité envers tous les hommes politiques de quelques bords qu'ils soient. Nombre de candidats à ces élections sont en effet accusés d'opportunisme et d'accointance avec le Makhzen. « Ceci dit, quel que soit les positions des uns et des autres et quelque soit le taux de participation, ce scrutin sera, pour les autorités, une pure formalité » nous explique désabusée, Mouna, 39ans, une enseignante à l'Université de Casablanca : « les résultats des élections seront évidemment validées. Et il y aura bien au lendemain du 25 novembre 2011, une nouvelle Assemblée avec ses 395 députés, d'heureux « élus ». Peu importe qu'ils soient bien ou mal élus: l'essentiel pour eux (et pour le Makhzen) est qu'ils le soient ! Reste à savoir maintenant si le monarque et ses amis occidentaux vont s'accommoder oui ou non d'un parlement élu par moins du quart de la population marocaine, selon l'hypothèse la plus optimiste ». Il est vrai que le palais royal doit savoir, dans ces conditions, qu'un pouvoir politique «élu» avec un taux d'abstention catastrophique pourrait jeter le doute sur la suite des réformes citées, du reste, en exemple par les capitales occidentales. C'est pourquoi, les appels pressants et pathétiques lancés quotidiennement par les formations politiques «participationnistes», les affiches et les spots publicitaires incitant les gens à aller voter et dénonçant la «politique de la chaise vide» traduisent, d'une certaine manière, un certain désarroi dans le sérail. Les innombrables meetings et le travail de proximité des Mokeddem dans les quartiers et dans les cités ne suffisent plus, semble-t-il, à mobiliser un électorat qui ne veut rien entendre. Le PJD en embuscade Il faut dire que, de leur point de vue, les boycotteurs et les abstentionnistes ne manquent pas d'arguments. Loin s'en faut : «Ces élections ne peuvent constituer une solution à la crise. On nous propose pas moins de voter pour une chambre d'enregistrement des édits royaux. Les dés sont pipés. Tout est ficelé à l'avance. L'heure est même aux tractations autour de la nomination d'un chef du gouvernement auquel, le Roi délègue, désormais, en vertu de la nouvelle Constitution, une grande partie de ses prérogatives. La meilleure manière de faire évoluer les choses au Maroc est de boycotter et de dénoncer cette mascarade» nous révèle Ghassan, un étudiant de 25 ans et un animateur actif du mouvement du 20 février. Une position tranchée qui n'empêche pas, en cette veille d'élections, une configuration plutôt «originale » de l'échiquier politique marocain. La situation se présente ainsi : d'un côté, une « Alliance pour la démocratie », une coalition de néolibéraux, de conservateurs, de gauchistes et même d'islamistes. Et de l'autre, le parti de la Justice et du Développement (PJD), un parti islamiste qui disposait de 47 sièges dans l'ancienne législature. Emmenée par Salah Eddine Mezouar, Président du Rassemblement national des indépendants (RNI), la coalition surnommée G8 par la presse locale affiche des positions progressistes et libérales face au PJD, un parti islamiste réputé conservateur et néanmoins déjà donné favori outre-méditerranée. Pourtant, le leader du PJD, Abdelellilah Benkirane était, il y a, à peine, quelques mois, en perte de vitesse dans sa propre formation et personne n'aurait soupçonné les ambitions qu'il affiche aujourd'hui. Nombre d'observateurs en sont à se demander comment une telle ascension a-t-elle pu se produire en si peu de temps. Il faut dire qu'il y a, là, de quoi alimenter les craintes de nombreux intellectuels laïcs effrayés par la poussée inattendue de ce parti islamiste dit « modéré ». Pour se démarquer et refuser l'islam politique, certains veulent même « laver plus blanc que blanc » en préconisant, contre tout bon sens, de mettre dans l'urne un bulletin blanc qui, en vertu de la loi électorale marocaine, n'est pas considéré comme un suffrage exprimé. Une position considérée comme suicidaire car elle pourrait faciliter la fraude. Il faut dire qu'avec l'exemple récent de la Tunisie, un des derniers bastions laïcs du monde arabo-musulman qui vient de tomber (à la faveur d'élections) dans le giron islamiste, beaucoup s'interrogent, ici, sur le sort de pays beaucoup moins sécularisés à l'image du Maroc ou même de l'Algérie voisine. Des Etats qui ne se sont jamais empêchés, chacun à sa manière, d'instrumentaliser la religion. Mohamed-Chérif Lachichi