Résumé : Le chauffeur de taxi avait orienté Faouzi chez ammi Ahmed, un cafetier qui détient des renseignements fort précieux sur le kidnapping du bébé et la famille de ce dernier qui s'avéra être l'une des plus riches de la région. Certes, l'affaire remonte à très loin, mais ammi Ahmed semble avoir une mémoire d'éléphant. Le vieil homme se remet à siroter son thé à petites gorgées et à méditer avant de poursuivre : - Les gens du village étaient heureux de pouvoir manger à leur faim, sans avoir besoin de mendier, et la famille de Si Mabrouk répartissait les dons selon les besoins du voisinage. On vivait donc heureux et dans une harmonie sans pareille. Les villageois étaient simples, sages, et savaient se contenter de ce que leur offrait la Providence, mais il y avait un nuage qui planait sur le bonheur de tous. Les paysans étaient affligés par le fait que Si Mabrouk, qui était marié à sa cousine germaine depuis de longues années, n'avait pas encore d'héritier. Sa femme s'est avérée stérile, et aucun remède ne put venir à bout de cette calamité. Les parents et les proches commencèrent à s'inquiéter, et d'aucuns harcelaient Si Mabrouk à prendre une deuxième épouse. Si Mabrouk s'en remit à l'évidence. S'il mourrait sans descendance, ses biens seraient dilapidés ! Il prit donc la décision de convoler en justes noces, non sans avoir au préalable demandé l'accord de sa première femme. Cette dernière, triste mais déterminée, ira elle-même à la recherche de la perle rare qui comblera son mari de bonheur. Quelques mois plus tard, Si Mabrouk épousera une jeune fille d'un village voisin. Et une année plus tard, il sera l'heureux père d'un robuste garçon qu'on prénomma Lamri. On donna une fête qui dura plusieurs jours, et on offrit des waâdates pour conjurer le mauvais œil. Un second, puis un troisième garçon vinrent successivement au monde : El-Hachemi et Mustapha. Si Mabrouk était au comble du bonheur. Non seulement son vœu d'avoir des enfants est exaucé, mais la descendance mâle lui assurait à jamais la consécration. La guerre de Libération faisait rage, et Si Mabrouk quitta le village pour mettre sa famille à l'abri des mauvais coups. Il s'installa en ville où il acheta plusieurs magasins et se lança dans le commerce de gros. Les deux aînés grandissaient. À peine adolescents qu'ils se sont déjà initiés à toutes les ficelles du commerce. Par contre, Mustapha, le benjamin, faisait des études. Certes, il savait qu'il finirait par rejoindre les autres, mais étant donné qu'il avait la chance de mettre les pieds dans une école, il ne rechigna pas à suivre un cursus scolaire normal. Nous sommes de la même génération et nous nous rencontrâmes donc sur les bancs d'école. Plus tard, nous effectuâmes le service national ensemble dans une ville de l'Ouest algérien. Deux années plus tard, Mustapha se maria. Il était le seul à ne pas avoir encore fondé une famille, alors que Lamri et El-Hachemi avaient déjà des enfants. Si Mabrouk prenait de l'âge, certes, mais il était toujours actif et dirigeait la maison d'une main de fer. Mustapha, qui avait pris pour femme une fille de son village, aura d'abord deux garçons puis une fille. C'est cette dernière qui sera kidnappée au septième jour de sa naissance. Faouzi sursaute et cesse de prendre note : - Que s'est-il réellement passé ? - Eh bien, mon fils, les gens sont parfois bizarres. On aurait juré que c'était un des employés de Si Mabrouk qui aurait fait le coup. Un malfaiteur du nom de Youcef… - Un malfaiteur que la famille connaissait ? Si Ahmed hoche la tête : - Oui. Et pour cause, les coups de fil que la famille recevait renseignaient à plus d'un titre sur cette personne et sur ses intentions. Le malfaiteur n'opérait pas seul, il avait sa bande bien sûr. Il avait demandé une forte rançon, sans quoi le bébé allait être exécuté et jeté dans un puits. Et surtout, il avait menacé de passer immédiatement à l'acte si la famille s'amusait à alerter la police. - Et ensuite… qu'a-t-on fait ? - Si Mabrouk n'avait pas hésité un instant. Il avait chargé ses fils aînés d'exécuter les instructions de ces malfaiteurs. Lamri et El-Hachemi avaient mis l'argent dans un grand sac et s'étaient rendus à l'endroit indiqué pour le déposer. Mais, à leur grande surprise, personne ne vint le prendre. Ils attendirent sagement jusqu'au lever du jour, puis revinrent chez eux tête baissée. Au petit matin, la sonnerie du téléphone résonne dans la maison, et Si Mabrouk apprendra que sa petite fille avait été jetée dans un puits. Il n'aura pas le temps d'en connaître les raisons, car la “voix” avait tout bonnement raccroché. (À suivre) Y. H.