Les réticences à l'encontre de la création de fonds souverains pour un nouveau paradigme économique peuvent-elles indéfiniment se justifier ? Il est vrai que dans le sillage des scandales politico-financiers qui ont émaillé le secteur de l'énergie, les Algériens se méfient de toute initiative qui, à leurs yeux, ne peut que profiter à ceux qui ont dilapidé impunément les deniers publics. Dès lors, l'idée de création de fonds souverains, qui plus est, a été avancée à l'époque de Chakib Khelil, après qu'il ait proposé la loi “scélérate” de privatisation des hydrocarbures, ne pouvait susciter que crainte et méfiance. Par ailleurs, le confort assuré par un matelas financier de 175 milliards de dollars, garantissant trois années de nos besoins d'importation, n'incitent pas aux risques, et nous rend “otage d'une naïveté, voire une indolence, basée sur l'illusion factice que rien ne peut nous arriver” au regard de la réalité des faits économiques “têtus”, dans un contexte international en plein bouleversements. Même si tous ces questionnements peuvent paraître légitimes, et tout en saluant la gestion prudente de nos ressources extérieures et le remboursement de nos dettes vis-à-vis de nos bailleurs de fonds internationaux, grâce à l'anticipation du pouvoir actuel ; il n'en demeure pas moins que nous sommes dans une situation nouvelle, qui exige un nouveau paradigme de notre système économique pour rompre avec la pratique rentière qui a prédominé les démarches successives des dirigeants politiques algériens de l'indépendance à aujourd'hui. Les experts des questions énergétiques, de la finance internationale et de l'économie nationale, ont unanimement, au cours du quatrième forum d'Alger, tenu le 19 novembre courant, mis l'accent sur la nécessité d'une dynamique offensive et novatrice face aux effets de la crise financière internationale qui nous affectera inéluctablement dès 2012, via le risque d'effondrement du prix du baril de pétrole et de l'inflation importée, liée au renchérissement des prix des produits importés de l'UE, zone en crise systémique, avec laquelle nous réalisons l'essentiel de nos échanges. Dans ce contexte, ils préconisent une panoplie de mesures d'anticipation sur les retombées de la crise, telle, notamment, l'opportunité qui nous est offerte de rattraper 20 ans de retard technologique “en prenant des intérêts dans des entreprises étrangères ciblées, en vue d'en transférer la technologie et le savoir-faire.” Dans cet esprit, et tirant la sonnette d'alarme sur les risques majeurs qui pèsent sur notre économie, ils recommandent la création, rapidement, d'un fonds souverain qui accompagnera ces entreprises étrangères, mais aussi nationales, qui désirent se lancer dans l'innovation technologique, pour assoir leur compétitivité afin de permettre “un nouveau départ et opter pour un autre modèle de développement, le modèle actuel ayant largement atteint ses limites.” L'intérêt de leur analyse réside, à notre avis, dans le “réalisme” du diagnostic qu'ils ont présenté sans complaisance et avec sérénité, en mettant en exergue l'amplification très probable du décalage entre “l'Etat et la société.” L'ampleur des contestations sociales permanentes l'attestent. À l'évidence, l'Algérie dispose d'atouts qui lui permettent de se hisser au niveau des pays émergents, si elle “ose” réformer son système politico-économique. Comment peut-il en être autrement, alors qu'elle dispose de réserves prouvées de 12,2 milliards de barils de pétrole et 159 trillions de pieds cubes de gaz à janvier 2010, selon le Oil and Gaz Journal. Elle se positionne respectivement dans ses deux ressources énergétiques, à la troisième et deuxième place des réserves africaines, après la Libye et le Nigeria. Dans le domaine gazier, notre pays détient la 10e plus grande réserve mondiale. Il est donc normal que cette question focalise les attentions du pouvoir et préoccupe la société. D'autant que dans un passé récent, l'opacité découlant de la “sacralisation” de cette ressource a favorisé toutes les dérives politico-financières que tout le monde connaît. S'agissant des réserves mondiales en hydrocarbures, les experts et spécialistes des questions énergétiques fossiles prédisent un tarissement de ces réserves à l'horizon 2030. Dans le même sillage, pour d'autres spécialistes, les années 2030 seront marquées par le pic de la production d'hydrocarbures, qui ne pourrait dépasser les 100 (MBA) milliards de barils/an, alors que la dépendance énergétique au même horizon des USA (68,5%) de l'Europe (68,6%) et de la Chine (73,2%)… ira en s'accroissant, ce qui ne manquera pas de générer de nouvelles tensions et de nouveaux conflits à l'échelle planétaire. L'intervention récente de l'Occident en Libye en est un exemple probant. Selon ces mêmes analystes, les prix des hydrocarbures, dans de tels scénarios, connaîtront, vraisemblablement, une tendance structurelle à la hausse, même si, à court terme, ils marqueront un fléchissement. Dans un tel contexte mondial, porteur de lourdes menaces, chacun aura mesuré les conséquences de l'intervention occidentale en Irak et en Libye et les éventuelles visées sur notre pays. La guerre psychologique qui nous est menée, en faisant douter nos partenaires étrangers quant à la capacité de notre pays à respecter et à honorer ses engagements contractuels internationaux en matière d'approvisionnement en gaz, relève d'une stratégie de fragilisation et/ou de déstabilisation de notre pays, avec des objectifs pour l'instant inavoués. La riposte est venue du président de la République, lors du sommet de Doha, qui a affirmé que l'Algérie respectera ses engagements, bien que cela lui en coûte beaucoup. Par ailleurs, l'Algérie n'a d'autre choix que de mettre à profit les dividendes qu'elle engrange de la vente des hydrocarbures pour poursuivre ses efforts de développement, diversifier son économie et promouvoir son industrie afin de se hisser au niveau des défis de la compétitivité internationale. Le pari des fonds souverains peut être tenté. Il suffit d'introduire et de mettre en place les éléments de transparence dans leur gestion. A. H.