Comme chaque année, les populations algériennes, à l'instar des autres contrées de l'Afrique du Nord, ont accueilli en cette fin de semaine Ennayer 2962, le nouvel an berbère qui se veut une coutume ancestrale impérissable. Une tradition millénaire qui marque le passage d'une époque à une autre, tout comme le 1er janvier pour les chrétiens et Moharram pour les musulmans, et un legs antique qui a croisé des siècles et continue à être commémoré et festoyé. Pour la circonstance, les préparatifs ont déjà commencé depuis quelques jours, quand on sait que les étalages ont été garnis des denrées nécessaires à ce rite, comme les sucreries, arachides, légumes secs... Se bringuebalant dans cette véhémence immémoriale, les villes et les villages, jusqu'aux recoins les plus reculés de notre pays, ont pour habitude de se mettre de la partie pour aller à la rencontre d'une nouvelle ère, l'entame du nouvel an appelé aussi “thaburth useggwas” ou “ras el aâm”, en espérant profusion et prospérité. Durant cette journée qui symbolise l'adversité, tout comme la veille, la prophylaxie et la purification des lieux sont de mise pour que la terre soit plus prolifique, voire l'année plus fructeuse. Dans cette ligne, on se soumet également aux conduites rituelles comme le sacrifice d'une volaille (asfel) dont le sang repousse les influences néfastes (djounoun), ce qui, à l'occasion, faisait prononcer à nos aïeux, comme le rapporte la légende, l'expression “seyel eddem irouh l'hem”. En matière de nourriture, le plat recommandé ce jour-là est le couscous agrémenté de viande de volaille et de légumes auxquels on aurait évité les épices. Dans certaines régions du Centre, de l'Est comme de l'Ouest, à l'instar de quelques autres du Maghreb, on déguste une préparation concoctée spécialement à base de céréales et légumes secs (oufthilen ou cherchem). En plus des beignets, crêpes et gâteaux, les enfants ont droit à une multitude de friandises et sucreries (m'khellett), à savoir figues sèches, amandes, noisettes, dattes, etc., symboliques de plaisir, d'enchantement et d'aisance. Néanmoins, on se prive de consommer des mets acidulés, piquants ou amers qui risqueraient de générer un sinistre présage pour l'année, à savoir les incendies des champs, une mauvaise récolte ainsi que d'autres calamités naturelles. Comme pour forcer les enfants à manger à satiété, on effraye ceux qui s'abstiennent de bien se régaler en faisant intervenir “Aâdjouzet Yennayer” qui viendrait les étriper pour bourrer leurs ventres de paille. Nonobstant, les absents ont aussi leur ration du repas et les couverts placés par la maîtresse des lieux représentent leur existence. Après le repas, il convient de vérifier si tous les présents ont mangé à leur faim et c'est la mère ou la grand-mère qui vérifie cela en posant la question aux enfants pour être sûre de leur satisfaction. Par ailleurs, cette dernière ne doit pas omettre les proches et les voisins, lesquels lui rendent pareillement des plats différents, car la coutume veut que les ustensiles vides ne doivent pas circuler en de pareilles circonstances. Cependant, d'autres procédés sont aussi adoptés à travers certaines régions où est célébré ce rite, à savoir mettre des brins d'aliments sur les pierres de l'âtre (kanoun ou medjmer), le moulin domestique (thissirth ou r'ha) et le métier à tisser (azetta ou mensedj) pour que ces outils jouissent interminablement de la grâce divine. En la même occasion, on s'affaire aussi à chauler les murs et les âtres du foyer en guise d'appel au renouveau. Les tout-petits sont soumis à leur première coupe pour détourner d'eux le mauvais œil (el-aâin ou thitt) d'une part, et fortifier vigoureusement leur chevelure comme pour leur souhaiter bien-être, vitalité et virilité. De connotation populaire, il est connu que dans quelques territoires berbérophones, on compare l'enfant à l'arbre pour lequel il est utile d'assurer une taille durant cette phase bien précise, afin qu'il soit davantage développé une fois embelli. Par ailleurs, autant cette symbolique est porteuse d'extraordinaires jouissances, autant elle véhicule bien des obstructions, qui interdisent de balayer pour ne pas renvoyer les bonnes influences ; de trimballer ni offrir des braises, et éviter un mauvais langage, tel que les mots pauvreté, disette, stérilité, maladie… Au demeurant, en ville, au village ou dans le quartier, les citoyens de toutes les régions d'Afrique du Nord trouvent un plaisir singulier à célébrer Ennayer qui reflète leur identité, qui est définie par de nombreux penseurs comme tout ce qui reste à un peuple qui aurait tout perdu.