L'armée, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, est directement désignée à travers le maréchal Tantaoui auquel la rue et les partis politiques demandent de plus en plus ouvertement de partir et de remettre le pouvoir à des autorités civiles. De violents affrontements ont eu lieu jeudi à Suez, opposant des manifestants venus s'indigner après l'hécatombe survenue la veille dans le stade de Port-Saïd et qui a coûté la vie à 74 personnes, à l'issue d'un match mettant aux prises le très populaire club du Ahly du Caire et le club local d'Al Masry. Les deux victimes, des manifestants, ont été tuées par balle selon des sources médicales et on enregistre une trentaine de blessés. La police a essayé de contenir les centaines de manifestants, qui voulaient investir les locaux de la direction de sécurité à Suez, en usant dans un premier temps de bombes lacrymogènes avant de tirer à balles réelles. Des sources de sécurité rejettent néanmoins cette version et affirment que certains des assaillants étaient eux-mêmes armés et que la mort des deux manifestants ne peut être imputée aux policiers. Mais, quelles que soient les dénégations des autorités et des forces de l'ordre, la fronde gagne peu à peu l'ensemble du pays. L'armée, au pouvoir depuis la chute de Moubarak, est directement désignée à travers le maréchal Tantaoui auquel la rue et les partis politiques demandent de plus en plus ouvertement de partir et de remettre le pouvoir à des autorités civiles. Jeudi, au Caire, plus de 600 personnes ont été blessées dans des affrontements aux abords du ministère de l'Intérieur. Des milliers de supporters du prestigieux club de football cairote, mais aussi des citoyens ordinaires, ont défilé en accusant les militaires et le ministère de l'Intérieur, après l'incroyable carnage de Port-Saïd, qui le moins qu'on puisse en dire est qu'il suscite de nombreuses interrogations. En premier lieu, qu'est-ce qui a pu motiver le massacre des supporters du Ahly à coups de gourdin, de barres de fer et autres armes blanches ? Le club local venait en effet d'infliger sa première défaite par le score sans appel de 3 buts à 1 au club cairote. Or, dès le coup de sifflet final de l'arbitre la pelouse a été envahie et le massacre systématique a commencé sous l'œil impavide des policiers censés assurer la sécurité du stade. Pourquoi le dispositif policier chargé d'encadrer le match avait-il des effectifs nettement inférieurs à ceux mobilisés habituellement, y compris quand il s'agit d'un match ordinaire et sans enjeux ? Comment la police a-t-elle pu laisser passer dans l'enceinte du stade autant d'armes blanches meurtrières ? La liste des interrogations est encore longue, mais une certitude s'impose : le coup était bel et bien prémédité ! Par qui, avec la complicité de qui et dans quel but ? Autant de questions qui resteront sans doute sans réponses, même si les plus hautes autorités du pays ont promis de diligenter une enquête. La rue, elle, a déjà répondu à toutes ces interrogations. Elle pointe du doigt le Conseil militaire et le ministère de l'Intérieur qu'ils accusent d'être derrière le guet-apens meurtrier. Selon les plus acharnés des accusateurs, les motivations pour monter un tel scenario ne manquent pas. Ils rappellent que le printemps égyptien a réellement commencé quand un supporter de l'Ahly du Caire a été tué par la police et que des centaines de milliers d'autres supporters du prestigieux club s'en sont pris aux forces de police et ont occupé la place Tahrir, suivis peu à peu par le reste de la population. Les bastonnades mortelles du stade de Port-Saïd ne sont pas sans rappeler, d'ailleurs, celles des “baltaguias” qui se sont acharnés sur les manifestants de la place Tahrir alors même que Moubarak était encore au pouvoir et tentait de s'y maintenir à tout prix. Alors, représailles contre les fans du club cairote ? Autre motivation possible, toujours selon ceux qui mettent à l'index le pouvoir intérimaire, la volonté de celui-ci, c'est-à-dire de l'armée, de se maintenir à la tête du pays. Une situation chaotique pourrait leur donner des arguments pour suspendre le processus électoral, réinstaurer l'état d'urgence et mettre entre parenthèse une transition plus que jamais en péril. Lors du premier débat en plénière de l'Assemblée du peuple dominée par les Frères musulmans et marquée par une forte présence de salafistes, la crainte d'une telle éventualité, si elle n'a pas été clairement évoquée ou dénoncée, n'en a pas moins été effleurée à demi-mot par de nombreux intervenants. En un mot comme en dix, la situation en Egypte est des plus préoccupante. Dans tous les cas, la transition démocratique est en péril. Elle est à la fois menacée par un islamisme conquérant qui pourrait être tenté par l'instauration d'un Etat théocratique, et par une armée qui voudrait, peut-être, empêcher un tel scénario même si, pour cela, elle devrait faire fi du minimum démocratique requis. M. A. B