S'il se montre optimiste quant à l'avenir des relations algéro-françaises, souvent traversées par des zones de turbulences, l'ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, ne dissimule pas son appréhension du contexte dans lequel intervient le cinquantenaire de l'Indépendance de l'Algérie. Aussi bien à Alger qu'à Paris. Un contexte qui sera essentiellement marqué par la tenue des élections législatives en Algérie et l'élection présidentielle en France. “L'année 2012 est une année importante pour l'Algérie, il y a les élections législatives, un temps fort pour un pays, mais aussi l'anniversaire de l'Indépendance. En France aussi, il y a l'élection présidentielle et le souvenir d'une page de son histoire. C'est un contexte qui peut être difficile et compliqué”, a admis Xavier Driencourt, invité hier des rencontres “milles et une news” du quotidien Algérie-News. Mais le diplomate, qui ne manque pas de rappeler “les irritants” qui ont marqué les relations entre les deux capitales, notamment entre 2008 et 2010 (affaire des moines de Tibhirine), inscription de la compagnie Air Algérie sur la liste noire, débat sur la repentance, le film “Hors la loi”, l'affaire du diplomate Hasseni…), “deux années compliquées”, dit-il, mise sur la bonne volonté des deux peuples pour transcender les pesanteurs de l'histoire, même si la tâche n'est pas aisée. “Il faut compter sur ces personnes, ces hommes de bonne volonté des deux côtés de la Méditerranée (…). Mais il y a aussi des deux côtés ceux qui ne veulent pas s'inscrire dans ce schéma (…) c'est un souvenir douloureux en France. 2012, c'est votre fête, mais on ne peut pas oublier du côté de la France une page de son histoire”, a-t-il affirmé. “Pour certains Français qui étaient attachés à l'Algérie, c'est une partie de l'histoire que vous ne pouvez pas occulter”, a-t-il ajouté. Tout en rappelant les déclarations de Sarkozy sur le colonialisme à Constantine et celles de l'ex-ambassadeur Bajolet à Sétif et à Guelma ou encore sa visite à lui, loin des feux de la rampe, au pénitencier de Serkadji, “un geste fort”, selon lui. M.Driencourt plaide pour une réconciliation entre les deux peuples et pour un engagement en faveur des jeunes. “Ce qu'il nous appartient de faire au-delà de ce travail de mémoire, de reconnaissance, c'est transmettre la connaissance de cette histoire dans un esprit de réconciliation. Sur le plan économique, il faut qu'on travaille pour créer de l'emploi. Il faut miser sur les jeunes qui sont l'avenir de nos deux pays”. En plus du dialogue existant entre les deux capitales sur plusieurs dossiers, notamment le Sahel et la situation dans la région arabe, le diplomate a relevé l'existence d'une dynamique enclenchée par l'ex-Premier ministre, Jean Pierre Raffarin, avec le ministre algérien Benmeradi autour de certains dossiers économiques. “C'est à nous de poursuivre cette dynamique”, a-t-il dit. Signe de la volonté de tisser davantage de liens entre les deux peuples, Xavier Driencourt a annoncé l'ouverture en septembre prochain d‘une école primaire française à Alger. D'autres écoles sont prévues également dans plusieurs villes dont Oran, Sétif et Béjaïa, ainsi qu'une conférence sur l'enseignement supérieur et la recherche scientifique. À terme, le diplomate souhaite même la relance du traité d'amitié, lancé par l'ex-Président Chirac en 2003, mais mis sous le boisseau, depuis, en raison de quelques contingences politiques. “Le traité d'exception n'a pas eu lieu pour des raisons que vous connaissez. Peut être que ce sera pour 2012, ou 2013. Je crois que c'est une chose à laquelle il faut réfléchir. On a un traité d'amitié avec l'Allemagne, je ne peux que souhaiter le parallélisme avec l'Algérie”. Situation politique en Algérie : “Nous suivons avec attention” Même s'il s'est refusé “à s'immiscer dans les affaires internes de l'Algérie”, M. Driencourt s'est exprimé, par des propos diplomatiques, sur la situation en Algérie. Il a rappelé avoir été entendu par le Sénat français, il y a une année. Aux sénateurs, échaudés par le cas tunisien que la France n'avait pas vu venir et qui prédisaient une “révolution en Algérie”, l'ambassadeur a répondu que “chaque pays a ses spécificités”. “Ils m'ont dit : vous n'avez rien compris (…) un an après, je constate que j'ai raison”, a raconté l'ambassadeur. “Cela dit”, poursuit-il, “l'Algérie ne doit pas s'exonérer des réformes”. “Il y a une demande, il y a une réponse du gouvernement (…) nous suivons la situation avec beaucoup d'attention et d'intérêt”. Il ajoute : “je note qu'il y a des engagements de transparence, il y a de nouveaux partis, une mission de l'UE qui est ici (…) L'Algérie suit son rythme. Personne, en 2012, ne souhaite à l'Algérie un scénario similaire à la Tunisie, à l'Egypte et à la Syrie. Le peuple algérien est mûr”, a-t-il dit. À un journaliste qui l'interrogeait sur ses prédictions quant à une éventuelle arrivée des islamistes au pouvoir en Algérie, le diplomate réplique: “Est-ce que je peux vous demander si François Hollande ou Sarkozy serait président ? Vous connaissez mieux votre pays, je n'ai aucune idée sur les résultats”. Cependant, se référant aux déclarations d'Alain Juppé, M.Driencourt affirme que les partis islamistes “ne doivent pas être condamnés à partir du moment où ils s'engagent à respecter les droits de l'homme et les droits de la femme”. “Il n'y a pas d'objection, ni de tabou”, a-t-il dit. K K