Ce Camusien convaincu — trait qui se dégage de son écriture — saisit le drame de personnages entourés de chaos, qui s'engouffrent dans la névrose et qui cherchent à donner du sens à un non-sens, à trouver le coupable d'un meurtre, dans un contexte où les morts se comptent par dizaines par jour. Invité par l'Institut français d'Alger, en partenariat avec les éditions Barzakh, Maurice Attia, psychanalyste, psychiatre, scénariste, cinéaste et écrivain, a présenté son roman, Alger la noire (collection Babel noir, Actes Sud, 2006/ Barzakh, 2012), premier tome d'une trilogie (suivi de Pointe Rouge en 2007, et Paris Blues en 2009, toujours dans la collection Babel noir), et ce, lors d'une rencontre-débat organisée mardi dernier. Après un bref aperçu de son parcours, qui a permis à l'auteur de souligner que la problématique de l'appartenance est centrale chez lui, puisque de sa trajectoire se dessine le portrait d'un homme qui a toujours changé de lieu (de la Casbah à Bab El-Oued, d'Alger à Marseille, de Marseille à Paris…), qui a toujours cherché à trouver sa place. “Je ne me suis jamais senti bien nulle part”, a-t-il signalé au début de la rencontre. Maurice Attia s'est ensuite intéressé à Alger la noire, un roman noir dont les différents évènements et autres personnages sont autobiographiques. C'est sa mémoire d'enfant âgé d'à-peine une dizaine d'années qu'il revisite. Mais au-delà de la part intime que l'écrivain partage dans ce roman, il y a une fascination pour l'horreur, une envie d'essayer de comprendre comment les frontières psychologiques sont franchies. Un psychanalyste qui s'autoanalyse en quelque sorte. Pour saisir le chaos intérieur de l'être humain, le roman noir est un excellent moyen. “Ce qui m'intéresse en littérature, explique-t-il, et même dans le roman noir, c'est la détresse des personnages. Tout le monde peut tuer, mais qu'est-ce qui fait qu'un individu bascule?” Raskolnikov à Bab El-Oued Alger la noire place l'intrigue au début de l'année 1962. Paco Martinez et Maurice Choukroun enquêtent sur le meurtre d'un couple (Estelle et Mouloud) retrouvés morts et mutilés sur la plage de Padovani. Sur le dos de Mouloud, une inscription : OAS. Est-ce l'OAS qui revendique ce crime ignoble ? Est-ce que les choses sont plus complexes qu'elles n'y paraissent ? Maurice Attia compose une polyphonie envoûtante avec un récit à quatre voix (Paco Martinez, Maurice Choukroun, Irène et la grand-mère de Paco), où se mêlent références cinématographiques, pistes romanesques, et où s'élève la voix de l'inspecteur Paco qui refuse de prendre parti dans un pays déchiré par la guerre… une guerre qui, comme le disait Kant, crée plus de méchants qu'elle n'en supprime. Paco, fils d'un anarchiste espagnol élevé par sa grand-mère, enquête sur le meurtre du jeune couple pour “son propre équilibre psychique”, relève l'auteur. Peut-être que Maurice Attia a-t-il écrit ce roman pour son propre équilibre psychologique, lui qui a confié que “la guerre d'Algérie m'a conduit à être psychanalyste.” Tous les évènements qui se sont déroulés sous ses yeux d'enfant (les massacres de civiles et de populations, les cadavres retrouvés sur les plages, les bombes qui rythmaient le silence de la ville…) l'ont conduit à penser que les adultes étaient des “cinglés”. Un monde absurde ! Dans le roman, cette absurdité est représentée par la grand-mère (qui a le rôle du sens de la vie), atteinte d'une démence sénile. Paco Martinez, archétype du héros anticonformiste, est une sorte de Raskolnikov qui s'interroge sur la violence alors qu'il est encerclé par le chaos, alors que la violence est le seul mot d'ordre, alors qu'il nage dans un bain de sang. L'auteur arbore une écriture empathique et juste, avec un rythme soutenu, et compose avec Alger la noire, un roman troublant de sincérité. S K Alger la noire de Maurice Attia. Roman, 400 pages, éditions Barzakh, 500 DA.