Chevardnadzé a jeté le gant, la Géorgie n'est cependant pas pour autant sortie de la tempête. Ce pays qui, le premier, s'était dissocié de l'Union soviétique en 1991, est totalement miné par des tensions de tout ordre, alimentées par un ultra-nationalisme exacerbé à l'extrême et par sa propre position géographique. C'est devenu la voie de passage pour le pétrole et le gaz caucasiens vers les marchés occidentaux. La Géorgie, qui n'a pas connu de répit depuis son indépendance, risque de basculer carrément dans la guerre civile. Le décor est planté. Les supporters de Chevardnadzé peuvent allumer la mèche, même s'ils ont été boutés par l'opposition de façon spectaculaire et, parmi eux, il y a les islamistes frontaliers des républiques musulmanes du Caucase qui fantasment sur une république islamique. D'autre part, l'Abkhazie dissidente, qui a proclamé sa souveraineté trois semaines après l'indépendance de la Géorgie, n'a pas baissé les armes et la Russie, son alliée, peut aussi être tentée par le maintien de cet abcès de fixation. Chevardnadzé avait d'ailleurs compté sur Poutine pour le sortir de la tenaille de son opposition. L'ancien ministre des AE de Gorbatchev (Urss de la perestroïka) a été jusqu'à taire ses velléités pro-occidentales et rejoindre, après l'avoir incessamment refusée, la Communauté des Etats indépendants, cet ensemble né sur les débris de l'ex-Union soviétique. Il a obtenu le soutien militaire des Russes et même la présence d'une mission militaire des Nations unies (Monug). De ce point de vue, la Russie a dû pousser elle aussi Chevardnadzé vers la porte de sortie. Poutine, qui a eu les mains libres pour la Tchétchénie, ne pouvait pas prendre le risque d'une fâcherie avec Bush qui, au lendemain des législatives du 2 novembre dernier, a sévèrement condamné Chevardnadzé pour hold-up électoral. Les Etats-Unis, qui ont toujours cherché à empêcher la formation d'une puissance nouvelle comparable à ce qu'était l'Union soviétique, ont réduit autant que possible toute présence russe dans le Caucase, comme du reste, en Asie centrale et dans les Balkans. Dans cette entreprise, la Géorgie a été transformée en autoroute des hydrocarbures de la mer Caspienne. Oléoducs et gazoducs la traversent de Bakou à Ceyhan, pour éviter de passer sur la Russie. Cela dit, la victoire du mouvement national qui a fédéré tous les opposants de Chevardnadzé depuis les législatives contestées, peut servir d'exemple pour les luttes que mènent les citoyens des pays en transition vers la démocratie dont les dirigeants refusent d'appliquer les droits universels. Ces méthodes de luttes pacifiques qui ont été expérimentées une première fois par les Serbes à Belgrade pour chasser Milosévic et le livrer au TPI, peuvent constituer une sérieuse piste pour les sociétés dont la dynamique démocratique est maintenue bloquée. “La révolution de velours'', l'occupation ininterrompue des abords des palais présidentielle et parlementaire à Tbilissi par des manifestants “fatigués du pouvoir corrompu et de vivre dans la misère'', a fait fuir Chevardnadzé. La bataille est gagnée par l'opposition mais pas la guerre car il s'agit de panser le pays tout en faisant preuve d'une extrême vigilance. Ce ne sont pas les pyromanes qui manquent dans la région. D. B.