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La Grande Mosquée d'Alger (5e partie et fin)
Du salafisme à l'économie d'énergie
Publié dans Liberté le 28 - 03 - 2012

La Grande mosquée d'Alger n'est pas un apport culturel ou civilisationnel car elle n'implique aucune intelligence algérienne, aucun savoir-faire algérien. C'est une autre forme de gaspillage et du pillage de la rente pétrolière qui est aggravée par une gestion improvisée de l'économie nationale. Elle n'est pas articulée sur la pensée islamique maghrébine, voire sur une quelconque pensée théologique ou spirituelle de l'Islam, de son art ou de son architecture.
Ce projet n'est pas fait pour l'islam mais pour un islamisme dangereux et perfide que le Président ne cesse de promouvoir à coups de concessions et d'alliances contre nature. Projet d'une velléité de compromission avec le salafisme wahhabite, et non pas émanant de la foi sincère d'un musulman, et encore moins le vœu des Algériens qui n'ont nullement été consultés, cet édifice n'est pas celui de la tolérance et de la paix mais de la fitna et du conflit.
Ni le projet, ni sa réalisation, ni même sa maquette n'ont été décidés de manière démocratique et peut-être même transparente et conforme à la réglementation ! Où est l'Islam dans cet autoritarisme et cette mégalomanie ? Il s'agit de l'argent du contribuable, pas celui d'un homme pour qu'il en use comme bon lui semble ! C'est une mosquée empoisonnée que s'offre l'Algérie, une mosquée que des partis politiques essaieront encore de convoiter, que le pouvoir ne manquera pas d'instrumentaliser pour passer ses discours démagogiques et mensongers… Car, depuis longtemps, le minaret est devenu un lieu de propagande et de désinformation, de politique politicienne et de velléités de domination des esprits.
À force de vouloir chasser sur le terrain des islamistes, le Président a fini par les dépasser, à perdre son nord, si tant est qu'il en avait un ! La future mosquée n'est pas épargnée du risque de devenir un haut lieu d'agit-prop, en tout cas de propagande d'un camp ou de l'autre.
Evidemment, le projet de Grande mosquée algéroise n'a pas suscité de questionnements autour de la question énergétique. À l'heure où l'architecture se tourne vers l'économie d'énergie, voire vers l'autosuffisance énergétique, cet aspect ne semble pas avoir été pris en considération par la mosquée algérienne, cette future grande dévoreuse d'électricité, cette future source de gaspillage. Le cahier des charges de trois pages ne mentionnait certainement pas cet aspect qui aurait pu au moins sauver la face de l'Algérie qui aurait pu se vanter au moins de cela. Dans ce domaine d'économie d'énergie, la Tour Generali, que l'architecte Denis Valode a conçue en France, est dotée de panneaux solaires et d'une éolienne géante devant économiser 60% de sa consommation énergétique. Le World Trade Center Towers de Barheïn est, quant à lui, doté de turbines de 29 mètres de diamètre qui couvriront 15% de ses besoins énergétiques, pour ne citer que ceux-là. Les cahiers des charges algériens n'égalent même pas ceux des Bahreinis ! Dans notre pays, le gaspillage est érigé en règle de gestion et de planification : sur la base d'un cahier des charges de trois pages, quel soumissionnaire se soucierait d'autre chose que de fourguer n'importe quoi pour ramasser des millions de dollars ?
Les derniers pays de la planète ne lancent pas des concours de projets un million de fois moins coûteux sur la base d'un cahier des charges aussi ridicule ! Avant son lancement, pareil projet aurait dû nécessiter une étude de plusieurs années pour aboutir à un cahier des charges de plusieurs centaines de pages ! Même le nom de Grande mosquée d'Alger a été décidé à la va-vite avant de le changer. En 2007, cette mosquée s'appelait Al-Adham, mais depuis quelques années nul n'évoque ce nom. Pourquoi donne-t-on un nom ensuite le changer si ce n'est que tout est le fruit d'une improvisation issue d'une culture superficielle qui racole ici et là, opportuniste et sans principes ?
Demain quel nom donnera-t-on à cette mosquée ? Rappelons qu'Ibrahim ibn Adham est un ascète soufi né à Balkh en 718 et décédé en 782 de l'ère chrétienne, de parents issus de Koufa. Il avait été roi et a renoncé à son trône pour mener une vie pauvre, de travailleur agricole et de marin. Pourquoi donner le nom d'un ascète qui a opté pour la pauvreté à une mosquée aussi fastueuse ? Espérons au moins que dans le futur, elle n'aura pas le nom d'un de ces imams à la mode salafiste pour plaire au Qatar ou aux émirs qui ont le vent en poupe.
Et la Grande mosquée d'Oran… Dans sourate At-Tawba, verset 107, Allah dit : “Ceux qui ont édifié une mosquée pour en faire un mobile de rivalité, d'impiété et de division entre les croyants, qui la préparent pour celui qui auparavant avait combattu Allah et son Envoyé et jurent en disant : ‘Nous ne voulions que le bien !' ceux-là, Allah atteste qu'ils mentent.” Allah complète dans le verset 108 : “Ne te tiens jamais dans cette mosquée. Car une mosquée fondée dès le premier jour sur la piété est plus digne que tu t'y tiennes debout. (pour prier).” Selon l'imam Al-Baghawî, ce verset serait descendu pour un groupe d'hypocrites qui avaient construit une mosquée avec laquelle ils voulurent faire de l'ombre à la mosquée de Qoubah où ils priaient autrefois avec d'autres croyants, dans le but évident de semer la discorde parmi les fidèles. Une fois la construction de la mosquée achevée, ils allèrent voir le Prophète et lui dirent : “Ô Messager d'Allah, nous venons de construire une mosquée pour les pauvres et les nécessiteux, adaptée aux soirées pluvieuses et froides et nous aimerions que tu viennes pour y mener notre prière et demander à Allah Sa bénédiction pour nous.”
Le messager d'Allah leur répondit qu'il était sur le point de voyager et qu'à son retour il leur rendrait visite et y mènerait la prière. C'est alors que sont venus les versets cités plus haut.
Construire plusieurs mosquées d'une facture architecturale moderne digne de ce nom aurait été plus utile à la fois pour le culte et pour l'architecture ; édifier des musées, cinémas, des théâtres ou des stades, qui eux, font cruellement défaut aurait été faire œuvre vraiment citoyenne et édilitaire. Il manque près de 30 000 cinémas en Algérie, autant de galeries d'art, de musées et de théâtres, mais aussi d'hôpitaux, de logements, d'usines, de stades, de piscines, de terrains de sport !
Oran a aussi eu droit à une grande mosquée. Le gros œuvre de cet édifice, baptisé Abdelhamid Ben Badis, a été achevé mais le projet est à l'arrêt depuis. En 2009, le Président lui a accordé une rallonge improvisée de 500 milliards de centimes (!) lors de sa visite du chantier à ses débuts, en 2009. Un cadeau qui ne fait pas avancer les travaux, semble-t-il, sauf qu'un bureau d'études français vient de réaliser l'étude de décoration (!) et que les Chinois sont en train de terminer la fabrication de trois portes monumentales. À Alger, une mosquée germano-chinoise, et à Oran une mosquée franco-chinoise : la coopération internationale en marche en Algérie ! Les Algériens sont obligés de chômer pendant que les autres gagnent des sous dans leur propre pays !
Selon M. Ghlamallah, ministre des Affaires religieuses et du Wakf, qui assistait le mois passé au premier Colloque international sur “les dimensions de civilisation dans la construction des mosquées en Algérie : la particularité de la mosquée Abdelhamid Ben Badis” (!), cette dernière sera “un ouvrage architectural conciliant le traditionalisme du style maghrébin et les exigences du modernisme.”
Ce premier colloque était supposé proposer une “feuille de route” en matière de construction de mosquées en Algérie, et particulièrement la Grande mosquée d'Alger ! “On est venus aujourd'hui pour écouter les spécialistes en architecture et en urbanisme dans le but de sortir avec des propositions concrètes en matière de construction de nos futures mosquées”, a dit le ministre, qui a ajouté que la décoration de la Grande mosquée d'Oran sera effectuée selon des bases “scientifiques” pour “éviter les erreurs du passé et refléter fidèlement le style architectural maghrébin.” Vraiment, M. Ghlamallah dit n'importe quoi : c'est dans le domaine de la restauration qu'il s'agit de science ; la décoration quant à elle relève de l'art ! Mais d'abord fallait-il que l'architecture elle-même reflète la beauté du cachet maghrébin, ce qui n'est point le cas avec cette masse gigantesque qui ne s'apparente à aucun style, ce Ulk architectural avec son minaret désaxé et disproportionné par rapport à la salle. Depuis quand la décoration d'un édifice n'est pas comprise dans l'étude architecturale ? La décoration et l'architecture d'intérieur sont supposées être réalisées dans le cadre du projet et non pas par un autre bureau spécialisé ! Il n'y a qu'en Algérie où l'architecte réalise l'esquisse du gros œuvre sans préciser les éléments architectoniques, les décorations, la forme, la couleur et les motifs des portes et fenêtres, des faïences, du parquet, des boiseries et des ferronneries… Pour la mosquée oranaise, le ministre dit que les artisans seront sélectionnés sur la base d'un appel d'offres, comme si ces derniers étaient organisés en grandes sociétés et non pas en petits métiers de taille individuelle ou familiale, employant généralement une ou deux personnes seulement. Se contredisant dans le même discours, il veut “ramener des artisans spécialisés dans le style architectural des wilayas de Ghardaïa, El-Oued et M'sila.” Espérons qu'il ne réalisera pas cette tchektchouka qui mélange des styles et des genres très différents les uns des autres ! Le mauvais goût règne au sommet ! Est-ce également ainsi qu'on compte réaliser la décoration de la Grande mosquée d'Alger ?
(Fin)
A. E. T.


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