Aucun secteur d'activité n'est épargné par les pots-de-vin. Les termes tchippa, chkara, rechoua ou encore qahwa sont tellement ancrés dans le quotidien des Algériens qu'on a cette nette impression que le rituel du “rien pour rien” s'impose avec en toile de fond des “enveloppes” bourrées d'argent et des “pourcentages” versés et blanchis. Les scandales de Sonatrach, de l'autoroute Est-Ouest, des passations douteux de marchés publics, du monde du football ne sont pas encore clos que le fléau bouleverse la vie politique du pays. Et pour cause, à l'approche des élections législatives du 10 mai prochain, tous les regards sont braqués sur les critères méritoires selon lesquels sont choisis les candidats, tant au sein des partis politiques que sur les listes des indépendants. Le sponsoring politique est sous la loupe des autorités judiciaires qui suivent de près les lobbies de la finance et les barons qui se sont illicitement enrichis et soutiennent des candidats qui voudraient briguer un poste au Parlement. Finalement, la corruption est partout, semée sous une forme de “violence invisible”, pour paraphraser les intervenants au 2e Colloque national de lutte contre la corruption qui se déroule, depuis hier, à l'université Mohamed-Khider à Biskra. Aujourd'hui, relèvent-ils, le commun des mortels s'interroge sur l'attitude à adopter face à ce phénomène dans la rue, dans les entreprises et les institutions pour échapper au chantage et au trafic d'influence. Cette rencontre à laquelle prend également part dans l'organisation le laboratoire chargé du changement social et des relations publiques en Algérie, le laboratoire chargé de l'impact de la jurisprudence juridique sur la législation et le 4e commandement régional de la Gendarmerie nationale (4e CR-GN) d'Ouargla, a abordé à tous les aspects inhérents à la prolifération du fléau de la corruption en Algérie avec ce constat : les dégâts sont énormes. Marqué par un absentéisme des plus scandaleux, la 6e législature aura finalement révélé les ambitions douteuses de certains parlementaires qui passent leur mandat à faire de l'argent au lieu de porter les préoccupations du peuple au-devant de l'actualité. Avec un niveau scolaire des plus bas, un comportement loin de répondre au charisme d'un représentant du peuple aux deux Chambres parlementaires, des candidats sont entrés la tête haute et le sac plein de beaux dinars à blanchir pour bénéficier de deux choses : l'immunité parlementaire et l'usage abusif du statut de député. Pour preuve, à peine les listes électorales ouvertes aux prétendants à la 7e législature, que la guerre des listes a révélé au grand jour des comportements immoraux laissant l'opinion publique perplexe par cette facilité déconcertante qu'ont des candidats à acheter une position dans une liste moyennant des millions de dinars. Les universitaires, venus des quatre coins du pays, les magistrats, les officiers de la GN et de la DGSN, des Douanes algériennes et d'autres représentants des institutions concernées par la lutte contre la corruption ont, certes, apporté certaines réponses aux problématiques posées lors du colloque, mais faudra-t-il oser aller loin dès que la preuve est établie. À ce jour, aucun secteur n'a échappé à ce fléau qui gangrène l'économie nationale, les mentalités, les comportements et dégrade de facto l'échelle des valeurs. Les lois sont-elles insuffisantes ou s'agit-il d'un manque d'application ? Les communications phare du colloque, à savoir celle du colonel Mohamed-Tahar Athmani, patron du 4e CR-GN, suivie de Akila Kharbachi, universitaire, mais aussi du recteur de l'université de Biskra, Belkacem Slatni, et du lieutenant-colonel Abdelhamid Keroud du CGN (Alger) ont mis en exergue toutes les facettes de la corruption qui mine la vie publique. Car, un tel colloque qui intervient à 40 jours des élections législatives ne peut qu'inscrire une dynamique politique des hautes autorités de l'Etat à vouloir s'attaquer à ce fléau, en instaurant des mécanismes qui permettraient aux magistrats et aux services de sécurité de traiter de lourds dossiers loin de toute pression politique. Au-delà des recommandations qui devront être formulées, cet après-midi, les intervenants estiment que le volet relatif à la loi demeure insuffisant. Classée au 92e rang mondial sur 180 pays, l'Algérie a subi l'effet direct et néfaste de la globalisation au moment où d'importants projets structurants étaient engagés. Et si le taux de corruption était de l'ordre de 3% dans le commerce mondial en 2002, selon la Banque mondiale (BM), aujourd'hui ce taux a atteint un seuil d'intolérance de l'ordre de 9%. Soit plus de 1 000 milliards de dollars dans le monde ! Et l'Algérie, convoitée après être devenue “un pays qui compte” et où des chantiers qui se chiffrent en milliards de dollars sont lancés, n'a pas échappé à cette tendance. Du coup, la corruption a touché tous les secteurs, chose que nul ne pourrait nier. D'abord lutter contre la “corruption morale” ! Cette tendance à l'aggravation, saupoudrée par la pratique du gain facile, les cadeaux, les mesures d'accompagnement sans fondements, la passation de marché de gré à gré après être déclarés infructueux, a causé d'énormes dégâts dans le secteur public et les institutions de l'Etat, tant que celui-ci est soumis au contrôle. Mais le secteur privé et les activités multiservices, dont les activités libérales et l'agriculture, échappent totalement aux outils de contrôle de lutte contre la corruption. En ce sens, révèle-t-on, la justice algérienne traite, chaque année, une moyenne de 1 000 dossiers et affaires liés à la corruption, avec l'arrestation de 1 300 à 1 500 personnes et qui ont écopé des peines. La corruption liée au détournement de deniers publics constitue l'un des crimes les plus répandus de la corruption, suivie par l'abus de fonction, la corruption de fonctionnaires et l'octroi de privilèges injustifiés dans les marchés publics. Il faut savoir également que les collectivités locales, les secteurs de la poste et des banques sont les plus touchés, alors que d'autres secteurs, comme le bâtiment, les travaux publics, l'éducation nationale, les impôts, les douanes et autres secteurs d'activité sont aussi gangrenés par la corruption. En attendant le rapport qui devait être remis au chef de l'Etat par l'organe national de prévention et de lutte contre la corruption — installé en janvier dernier — qui comprend par ailleurs, une évaluation, dans chaque secteur, des dysfonctionnements qui ont favorisé la corruption, ainsi que les mesures prises dans ce sens, notamment par l'installation d'un office central de répression de la corruption, la justice se trouve souvent dans l'impasse. Depuis la création par l'Algérie, en 1996-1997, d'un service central de prévention de la corruption, en passant par le fameux “rapport Sbih”, commandé en 2000 mais qui n'a jamais vu le jour, jusqu'en 2006, avec l'adoption de la loi 06-01, qui prévoit la mise en place d'un organe de prévention de la corruption, l'Etat algérien a exclusivement misé sur les services judiciaires et de sécurité. Du coup, estime Mohamed Salah Derrardja de la division de la PJ-GN : “S'il existe une discipline capable d'offrir une liberté de manœuvre méthodologique, c'est bien celle de la criminologie. Le fait de se positionner au carrefour des sciences sociales, juridicopénales et humaines réduit le risque de laisser pour compte l'essentiel dans le fait social de la corruption, la perversion de l'échange, la confusion entre le public et le privé et la fusion pathologique entre la notoriété sociale et la responsabilité professionnelle. L'approche criminologique reconnaît à la corruption tous ces aspects que le bon sens recommande au législateur de redimensionner”. Il faut noter que le code pénal sanctionne sévèrement 24 cas de figure liés à la corruption, allant de 50 000 DA à 1 million de dinars et de 6 mois à 20 ans de prison ferme. Mais il s'agit de savoir si ces peines sont suffisantes pour endiguer ce phénomène ? Rien n'est moins sûr pour et la raison en est simple : “La corruption morale” est souvent là pour “la lutte contre la… corruption !” F. B.