Les sinistrés se plaignent de l'exiguïté et des nombreux défauts de fabrication de leur bungalow L'hiver dans les chalets... “Il n'y a pas d'intimité”, martèle Mme Zineb, en montrant à ses visiteurs les 36 m2 qui constituent désormais son royaume. Aide-moi à enlever le linge. Dépêche-toi, ma fille, il commence à pleuvoir.” Une femme, petite et menue, crie en direction d'une jeune fille de 20 ans et la presse à sortir du chalet pour venir l'aider à retirer le linge étendu à quelques mètres de la baraque. Il est moins de 14 h, la mère et la fille, avec des gestes rapides, finissent par libérer la grosse ficelle en ce début d'après-midi du 2 décembre 2003, jetant de temps à autre des regards furtifs vers la route qui leur fait face. La femme, la cinquantaine passée, monte la marche qui donne sur le bungalow, d'un pas leste, les cheveux au vent, suivie de la jeune fille. Elle revient quelques minutes après les mains vides, s'interroge du regard sur notre présence et nous invite, avec un large sourire, à entrer dans son chalet, après avoir pris connaissance de notre identité. L'entrée du bungalow donne directement sur la cuisine, une pièce d'environ 15 m2, renfermant une table avec trois chaises, une cuisinière et un réfrigérateur, ainsi qu'un grand pot à fleurs artificielles. Sur notre droite, se trouvent deux petites pièces de 9 m2 chacune, encombrées par des canapés, des armoires, un poste de télévision et une petite table de salon sur laquelle est posé le linge humide. “Il va falloir trouver très vite une solution pour sécher le linge. L'hiver est à présent parmi nous. Y a qu'à placer une ou deux ficelles dans la salle de bain et, éventuellement, une autre dans la cuisine”, dit notre hôtesse à sa fille, avant de disparaître derrière la porte d'en face, l'espace réservé aux toilettes et à la douche. Une bonne odeur de galette se dégage dans tout le chalet, accompagnée d'une douce chaleur. La femme revient au bout d'un moment très court, avec une galette chaude entre les mains et nous invite à y goûter. “Il n'y a pas de boulanger dans la région, goûtez-moi ça. Je vous assure que c'est propre. Venez voir par vous-mêmes. Je ne peux pas cuire la galette sur un sol couvert par un carton pareil”, insiste-t-elle, en nous montrant plusieurs parties du gerflex fixé avec de la colle. Dans la salle de bains, plus particulièrement à l'intérieur de la douche, une tabouna (lessiveuse) trône, portant une plaque en tôle. Ici, comme dans les autres pièces, tout est astiqué, tout est à sa place, malgré l'exiguïté des 36 m2 que représente la superficie du bungalow. Mme Zineb vit dans ce chalet avec son mari, sa fille et ses deux fils, depuis la deuxième semaine du mois de ramadan. La pièce qui renferme la petite table et le téléviseur est réservée aux garçons, la seconde aux parents et à leur fille. “Après le tremblement de terre du 21 mai dernier, ma famille et moi avions occupé un des camps de toile de Boumerdès. Notre bâtiment, le numéro 38, a été démoli. Nous avons passé un été difficile, avec cette canicule sous la tente. Au début du mois de carême, on nous a demandé de libérer les tentes pour venir nous installer au Figuier, alors que les travaux ne sont pas achevés”, raconte la femme au foyer en désignant du doigt les imperfections au niveau du sol, à hauteur des portes, en nous révélant la présence de fuites d'eau au niveau de la robinetterie et du plafond, et en faisant part du retard dans l'installation de l'eau potable. “Nous sommes obligés de chercher l'eau de la citerne, dehors, mais il arrive des jours où celle-ci est vide pendant des jours, parfois une semaine”, précise la dame. Cependant, Mme Zineb est un peu gênée de parler d'elle et de sa famille, “alors que beaucoup de ménages vivent encore sous la tente et risquent gros avec l'hiver, les maladies et le mauvais sang”. Devant notre insistance, elle nous confiera, au fil de la discussion, certains problèmes auxquels sont confrontés tous les jours les sinistrés ayant bénéficié de chalets au Figuier, une région distance d'à peine trois ou quatre kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Boumerdès. La région en question, inhabitée ou presque, ne dispose d'aucun commerce ni infrastructures socioculturelles. Il faut, par conséquent, descendre jusqu'à la ville de Boumerdès, pour faire ses achats, même les plus essentiels, comme le pain et le lait, pour trouver un taxiphone, une pharmacie ou un centre de santé. Ni eau ni transport Ce qui semble préoccuper, pour le moment, la famille de notre interlocutrice, ce sont surtout ces fuites d'eau et ce satané problème de transport. “Il n'y a pas de ligne Boumerdès-Le Figuier. Les minibus font la navette entre Boumerdès et Zemmouri et sont souvent complets au Figuier”, se lamente-t-elle. Et de dévoiler plus tard ses inquiétudes : ”La région n'est pas à l'abri de ces histoires de terrorisme, malgré les nombreux barrages de gendarmerie, qui ont été placés depuis le séisme. Je ne suis pas tranquille depuis notre arrivée dans le chalet. Il n'y a ni intimité, ni mur pour séparer le site de la route et des regards indiscrets. Ce n'est qu'une fois mon mari et mes enfants rentrés que je retrouve un peu de calme.” Nous apprendrons que son mari et son fils aîné descendent quotidiennement dans la capitale, l'un pour travailler et l'autre pour étudier à l'université. Pendant le mois de ramadan, il leur est arrivé souvent, selon les dires de notre hôtesse, de râter le train à Boumerdès qui va vers Alger et aussi de rentrer tard le soir, après la rupture du jeûne. Son autre fils, un lycéen inscrit à Boumerdès, est contraint de faire la navette, pour vérifier si oui ou non la grève des enseignants est terminée. “Comment fera-t-il pour arriver à l'heure, une fois la reprise des cours décidée ?”, s'interroge Mme Zineb, en espérant que les autorités locales, wilaya et APC, règlent une bonne fois pour toutes le problème du transport. La mère de famille déplore en outre le non-respect des engagements des autorités, en ce qui concerne l'installation de transport et de cantines scolaires. “Ils ont aussi promis de loger tous les sinistrés dans des logements ou des chalets avant l'hiver. Mais je crains de voir le travail bâclé, en raison de l'approche de l'hiver”, dit-elle d'une voix lasse. La fille de notre hôtesse, jusque-là en retrait, nous rejoint dans la discussion. Elle déclare d'un trait, avec une voix chevrotante : “Je suis inscrite à Boumerdès aux cours de l'UFC (Université de la formation continue, ndlr). Les cours sont dispensés de 17h à 19h. Mon père a changé d'avis et refusé que j'aille étudier, parce qu'il n'y a pas suffisamment de fourgons et parce qu'il a peur que je reste bloquée le soir, sans transport pour rentrer.” Elle éclate en sanglots. La maman tente de la calmer : “Moi aussi, j'ai peur pour toi, ma fille. J'espère que les choses changeront rapidement, sans cela, seules les personnes véhiculées étudieront et travailleront à l'avenir, sans crainte d'être renvoyées pour raison de retards ou d'absences.” La chaleur du chalet s'est dissipée depuis quelques minutes. La jeune fille se lève pour fermer la fenêtre de la salle de bains. Dehors, le vent commence à souffler fort. Nous demandons à notre hôtesse comment elle compte chauffer son nouveau logis. “Il n'y a pas de gaz de ville. J'utilise le gaz butane pour l'instant, je ne pourrai utiliser ni le réchaud à gaz butane ni la tabouna, car je ne fais pas confiance au gerflex, ni au contreplaqué. Pour ce qui est du réchaud électrique, je ne pense pas que la carte de sonelgaz suffira à satisfaire nos besoins. Nos conditions financières ne nous permettent pas trop de dépenses, sinon vous pensez bien qu'on aurait opté pour une location, au lieu de venir ici”, répond-elle, quelque peu embarrassée. Nous prenons congé de Mme Zineb et de sa fille. À l'extérieur du chalet, des gouttelettes de pluie commencent à tomber. Le ciel s'est un peu plus assombri et l'air est devenu glacial. Des voix de femmes s'élèvent, criant après leur progéniture. Quelques enfants jouent devant leur chalet, devant des jerricans ou autour des paraboles. Nous regardons autour de nous. C'est vrai que ce site du Figuier est inachevé et cela se voit à l'œil nu. Il paraît fragile et bien nu par rapport au site de Rouiba. Celui que nous avons visité la veille, le 1er décembre. Là-bas, les chalets sont des F2 ressemblant à des boîtes d'allumettes, puisque leur superficie tourne seulement autour de 22 m2 à la grande déception des personnes rencontrées sur ce site. À Rouiba, chaque chalet a bénéficié d'une clôture de séparation entre voisins, qui intègre une parcelle de terrain. Il dispose de l'eau H24, sans compteur et de l'électricité, par le biais de la carte Sonelgaz. Il évolue dans un espace où les allées sont goudronnées et les trottoirs construits. Au Figuier, dans les deux sites programmés, ainsi qu'à la Sablière qui est distante d'un kilomètre de la commune de Boumerdès et qui va accueillir, quant à lui, trois sites, dans beaucoup d'endroits, tout le travail de finition reste à faire, ainsi que celui de la viabilisation. Cela donne un air d'inachevé, une image de chantier, surtout lorsque la bétonneuse et les autres engins, les terrains boueux et les grosses casquettes des travailleurs s'imposent au regard, à chaque moment de la journée. H. A. Les camps de toile fermeront le 31 décembre Les “barrakete” seront-elles fin prêtes ? Nous avons appris le 1er décembre dernier, auprès des cadres de la wilaya de Boumerdès, que la loi élaborée au lendemain du séisme du 21 mai 2003 offre différentes options pour les sinistrés classés au rouge, dont les habitations ont été effondrées ou démolies. La loi en question leur permet de choisir entre l'achat d'un logement, en leur octroyant une indemnisation de 100 millions de centimes, et des prêts avantageux pouvant atteindre le même montant, ainsi que le relogement définitif après une attente de deux années. Ces mesures concernent également les personnes habitant des constructions individuelles et classées rouge, qui bénéficient d'une autre formule, celle de la reconstruction avec une indemnisation de 100 millions de centimes et un prêt de la même valeur comportant des taux d'intérêt avantageux. Selon cette source, une telle démarche a été respectée par la wilaya d'Alger, qui est finalement parvenue à régler le problème de ses sinistrés et donc, à fermer ses camps de toile. Concrètement, les familles qui ont bénéficié d'un chalet sont d'abord celles classées orange 4 (maisons affectées mais devant être confortées), dont le retour chez elles est certain, ensuite les ménages classés rouge qui ont opté pour le relogement définitif et qui devront, par conséquent, quitter les chalets, au bout d'un certain temps. À Boumerdès, l'ordre des priorités a été inversé et l'on se retrouve avec des orange 4 toujours sous la tente, en violation de la loi. Résultat, les familles installées dans des chalets, selon les cadres rencontrés, risquent de s'éterniser dans les bungalows, qui deviendront, par la force des années et de l'attente, des sortes de centres de transit, voire des bidonvilles. Il est reproché aux autorités de Boumerdès le retard enregistré dans la construction des chalets, entraînant à présent celui des commodités (alimentation en eau potable, électricité, clôtures de séparation...). Selon cette source, la situation a été engendrée par les litiges autour des terrains, amenant les sinistrés de la ville de Boumerdès à se demander pourquoi tout cet argent perdu et tous ces efforts déployés pour installer des chalets hors de la commune, comme par exemple à Khemis El-Khechna. Certains cadres ont même parlé de “ventes en catimini” de terres à des particuliers. D'autres ont mis en avant “la convoitise” des terrains de la commune, y compris ceux où a été bâtie la cité des 1 200-Logements. Nos interlocuteurs ont enfin indiqué que les camps de toiles fermeront le 31 décembre prochain dans la wilaya de Boumerdès. Les sinistrés devront alors rejoindre les chalets disponibles, même si ceux-ci manquent de commodités et n'ont pas connu la fin des travaux de finition. H. A.