Résumé : Louisa se contente d'avaler les trois quarts de patate et le bout de galette qui faisaient office de déjeuner. à peine la dernière bouchée avalée qu'elle se lève pour faire la vaisselle. Elle avait encore faim et ne comprenait pas comment les gens pouvaient se contenter de si peu pour tenir… Kamel avait tenté de lui transmettre un message. Il sourit à ma vue et me montre un petit paquet : - Viens. Tu dois encore avoir faim… Je passe une main sur mon ventre qui gargouillait : - Je ne sais pas comment je vais résister si je dois me contenter de trois quartiers de patate. Il ouvrit le paquet et en sortit un long pain blanc, une boîte de fromage et des pommes. - Ce n'est pas un festin… Mais je crois que cela calmera ton estomac. Je me jette sur le pain et le fromage. Un délice… La faim donne de ces envies ! Je croque enfin dans une pomme : - C'est délicieux… Le pain blanc et le fromage ont un goût exquis. Kamel sourit : - Nous tenterons de colmater les brèches de ma mère à chaque fois que cela sera possible… Contente-toi donc de faire ce qu'elle te dit pour éviter les complications. Je me serre contre mon mari. Il était si gentil, si prévenant avec moi. Il me sourit : - Je sens que, malgré tout, nous pourrons être heureux… N'est-ce pas Louisa ? Je hoche la tête : - Kamel… Je pensais que le bonheur m'appartenais quand tu m'avais épousé… Mais je suis déçue… Il met un doigt sur mes lèvres : - Chut… Je comprends ton désappointement… Mais cela ne durera pas, fais-moi confiance. Quelques jours passent. Je commençais à m'habituer aux sautes d'humeur de Nna Daouia et à la présence effacée de mon beau-père. Kamel travaillait dur. Il partait très tôt le matin et ne rentrait qu'à la nuit tombée. Je tentais de passer mes journées en me mettant à nettoyer, à laver, à coudre et à faire des courses. Le froid de Paris pénétrait dans mes os et mon âme. Mais j'avais appris à y faire face, en m'habillant chaudement et en tentant de marcher au pas de course à chaque fois que je sortais dans le quartier pour de menus achats. Je ne parlais pas le français. Mais les commerçants des environs étaient pour la plupart des gens du pays. Des Kabyles qui s'étaient installés là depuis des lustres. Ma belle-mère les connaissait tous, et me les avait présentés un par un, afin que je puisse m'approvisionner chez eux sans encombre. Je m'habituais rapidement à un rythme de vie dont je me croyais incapable. De temps à autre, Nna Daouia m'emmenait chez des gens qu'elle connaissait. Des émigrés qui, comme elle, vivaient en France depuis des années. Elle me présentait tel un trophée ramené du bled. Certains m'appréciaient, d'autres me prenaient en pitié. On connaissait donc son avarice et sa perfidie ! Quelquefois, on glissait discrètement dans mon sac des fruits, des gâteaux, une barre de chocolat, des friandises ou même un sandwich. Ces gestes m'allaient droit au cœur… Je pouvais m‘enfermer dans ma chambre et manger à satiété… Jamais Nna Daouia ne le sut. Un soir, alors que je terminais de mettre de l'ordre dans la cuisine, elle me demanda d'aller vider la poubelle. Kamel s'insurge : - C'est à moi d'aller la vider comme tous les soirs mère. Elle lève la main : - Il est temps pour elle d'apprendre à se débrouiller. Le fait de vider la poubelle ne va pas la diminuer. Je jette un coup d'œil à Kamel, avant de hausser les épaules. Tant pis… Je vais vider la poubelle. - Il fait noir comme dans un four…, me lance Kamel Sa mère vint à la rescousse : - Eh bien, elle prendra la bougie… Nous resterons quelques minutes dans le noir… Ce n'est pas grave. Nna Daouia n'allumait l'électricité qu'occasionnellement lorsqu'il y a des invités. Les autres jours, nous nous contentions des bouts de bougies qu'elle grillait jusqu'à la dernière goutte. Je prends donc la bougie qui était posée sur la table et me saisis de la poubelle. En ouvrant la porte, un vent glacial s'engouffra en moi. Je me mets à descendre prudemment les marches délabrées qui bougeaient à chaque pas. (À suivre) Y. H.