L'Algérie est assurément un pays vulnérable. Il l'est encore davantage quand, à l'occasion d'un mouvement de contestation d'un groupe d'armateurs étrangers, on apprend que le transport d'environ 97% de marchandises qu'elle importe est assuré par des compagnies maritimes étrangères. Une cessation d'activité, pour une raison ou une autre, par ces armateurs qui assurent l'approvisionnement du pays, et c'est toute l'Algérie qui se retrouverait sous embargo, lourd de conséquences. En effet, la quasi-totalité des échanges commerciaux de l'Algérie avec le reste du monde s'effectue par voie maritime, mais le marché échappe totalement aux opérateurs locaux. Cela n'a pas été toujours le cas. Dans les années 1980, l'Algérie disposait d'une flotte très importante, composée d'environ 80 navires exploités par la Cnan. L'armement Cnan assurait avec ses capacités propres et affrétées 35% des échanges extérieurs de l'Algérie. Aujourd'hui, “en dépit de nombreuses restructurations et d'une aide financière répétitive, la compagnie publique battant pavillon national ne couvre, dans les meilleures années, que 10% du marché du transport des marchandises, laissant l'essentiel des affaires et des profits aux compagnies étrangères”, relève l'ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, dans son livre Pour une meilleure croissance, aux éditions Alpha Design, en juin 2008. L'ancien argentier du pays faisait remarquer que “la flotte de la compagnie publique de transport des marchandises est techniquement hors service et la société transporte sur des navires affrétés dont le coût est grandissant et, parfois, le paiement problématique”. La situation de la Cnan, semble-t-il, est plus dramatique. Selon certaines sources, la compagnie publique ne disposerait que de 14 navires. L'âge moyen de la flotte de la Cnan dépasse 30 ans. En d'autres termes, elle est obsolète, vouée à la démolition. Pis, sur les 14 navires, 8 vraquiers sont immobilisés en Grèce et en Extrême-Orient. En tout, soutient-on, cinq navires seulement sont opérationnels. Le transport en ligne régulière est quasiment contrôlé par les armateurs étrangers. Le gros des tonnages est assuré par les grands transporteurs mondiaux, entre autres, Maersk, CMA-CGM et MSC. Notre source estime que la part de la Cnan dans le trafic conteneur ne dépasse pas les 3%. En position de force, les armateurs étrangers refusent de charger les frets payables en Algérie. Cette décision prise par des armateurs étrangers de refuser, à compter du 16 avril 2012, de prendre en charge toute opération d'importation ou d'exportation de marchandises en mode Fob (Free on board) au niveau des ports algériens a suscité de fortes appréhensions chez le Forum des chefs d'entreprise (FCE). “Au-delà des raisons pouvant expliquer la position des différentes parties prenantes dans cette affaire, qu'il s'agisse des administrations nationales compétentes ou des compagnies étrangères impliquées dans le transport maritime avec notre pays, il convient de relever que les victimes principales qui vont devoir assumer les conséquences néfastes de ces litiges seront avant tout les entreprises algériennes et, à travers elles, les consommateurs algériens et l'économie nationale dans son ensemble”, s'est inquiété le FCE. Pour les entreprises, qui se retrouvent, malgré elles, privées de la possibilité de négocier directement le coût de leur fret et qui seront désormais tenues de supporter des surcoûts financiers supplémentaires injustifiés, c'est leur compétitivité qui sera amoindrie encore une fois, sachant tous les désagréments qu'elles subissent déjà du fait d'un climat des affaires bureaucratique et lourdement contraignant. Une gestion malencontreuse du commerce extérieur Pour les citoyens nationaux, il faut, bien sûr, souligner que ce sont eux qui, en tant que consommateurs finaux, auront à endurer en fin de course les conséquences d'une gestion malencontreuse du commerce extérieur de l'Algérie. C'est vers eux que se répercuteront, inévitablement, les surcoûts financiers induits par cette nouvelle restriction. Pour l'économie nationale, le FCE trouve “choquant de constater que notre pays semble accepter comme avec une résignation coupable de supporter une augmentation importante des coûts du transport international de ses importations et exportations, plutôt que d'avoir à se prononcer sur les tenants et les aboutissants d'un litige survenant dans les relations avec des compagnies étrangères”. Force est de constater qu'aucune autorité nationale responsable ne s'est, à ce jour, prononcée publiquement sur cette affaire, ni pourquoi les échanges commerciaux de notre pays se retrouvent “sous le monopole des étrangers”, qui dictent leurs conditions. Comment une compagnie comme la Cnan, considérée comme l'un des plus grands armateurs à travers le monde dans les années 1980, a-t-elle pu se retrouver dans une situation aussi catastrophique ? Comment a-t-on perdu autant de navires ? Sur 80 navires, il n'en reste que 14 dont 8 sont immobilisés ? Pourtant l'Algérie n'a engagé aucune bataille navale. Ont-ils été vendus ? Ont-ils coulé ? Qui est responsable de cette situation ? Les pouvoirs publics ont accepté avec une “résignation coupable” de supporter une augmentation importante des coûts du transport international des importations et exportations de l'Algérie. Selon certaines sources, la surfacturation que les armateurs de lignes imposent aux opérateurs, au titre de frais de manutention en Algérie, dépasse les 30 millions d'euros. Le FCE dans son IFPE estime que les taux de fret actuellement pratiqués par les opérateurs du transport maritime international vers et/ou à partir des ports algériens accusent, dans l'ensemble, des surcoûts de l'ordre de 40% en moyenne par comparaison avec ce qui a cours dans les pays voisins. Cette situation est d'autant plus préjudiciable pour les entreprises et pour l'économie nationale que ce transport est réalisé pour l'essentiel par des sociétés maritimes étrangères, le pavillon national n'assurant que moins de 10% de parts de marché. Pour beaucoup d'observateurs, il est urgent de reconstruire l'armement national pour garantir la sécurité des approvisionnements et tirer profit de l'extension du marché. Les armateurs étrangers auraient facturé pour, au moins, 12 milliards de dollars au titre du transport des 46 milliards de dollars de marchandises importées en 2011. En 2012, la facture promet d'être encore plus lourde, les prévisions d'importation devant, selon les premières estimations, dépasser allègrement 50 milliards de dollars à la fin de cette année. Parallèlement, aucune stratégie ne semble se dégager pour sortir cet armement de l'état dans lequel il se trouve, à l'image du site de l'armateur, www.cnangroup.com en “situation de maintenance”. M R