Après la perte du consensus et l'échec des tentatives de réconciliation, les deux tendances des archs en sont arrivées aux mains, hier, à Azib-Ahmed. C'était à vrai dire prévisible : la division du mouvement citoyen en deux tendances, l'une favorable au dialogue et l'autre “non-dialoguiste”, ne pouvait aboutir fatalement que sur des scènes de violence entre les protagonistes qui se sont affrontés à couteaux tirés. Ali Gherbi et Zahir Benkhellat ainsi que leurs camarades de l'aile “non-dialoguiste” de la CICB, venus empêcher leurs pairs de la CICB acquis au dialogue d'engager les archs de Béjaïa dans le conclave de l'Interwilayas, ont été physiquement agressés à Azib-Ahmed. Il s'agit d'un précédent grave et d'une dérive dangereuse qui risquent d'emporter le mouvement tout entier. Comment un mouvement citoyen né dans la douleur pour arrêter l'effusion de sang et contrer la violence du pouvoir, comment un mouvement d'une telle ampleur qui a suscité espoirs démocratiques et intérêt citoyen, comment diantre ! ce mouvement par définition non-violent et résolument pacifique, en est arrivé là ? Peut-être la main du pouvoir ? Voyons voir… À l'origine, il y eut l'offre de dialogue du Chef du gouvernement. Si la proposition d'Ouyahia n'a pas agréé la majorité des délégués du mouvement citoyen qui a toujours fonctionné par consensus, certains, en revanche, parmi les ex-détenus, ont quand même trouvé matière à satisfaction en voulant positiver l'appel du Premier ministre. Au conclave de l'Interwilayas d'Amizour (Béjaïa) les 26 et 27 juin dernier, un difficile consensus a été dégagé par la plénière : il faut que le premier magistrat du pays s'engage à satisfaire la plate-forme d'El-Kseur. Bouteflika, à partir de Sétif, le 20 juillet, courtise les archs dans un appel au dialogue qui était loin d'être dénué d'arrière-pensées politiques. Le chef de l'Etat, qui a chargé Ouyahia d'organiser ce dialogue, n'a pas omis de poser ses préalables : le dialogue concernera la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur “dans tout ce qui ne porte pas atteinte à l'unité nationale et à l'Algérie éternelle”. Les archs rejettent la proposition. Oui au dialogue mais avec des conditions, c'était au conclave de Raffour (Bouira) les 14 et 15 août dernier. En attendant la satisfaction des six préalables mis en avant, le mouvement citoyen, comme pour gagner du temps, s'affaire à peaufiner le document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur. C'est ce document qui sera à l'origine des premières dissensions des archs. Ce sont les partisans de ce document, autrement dit du dialogue, qui ont pris, les premiers, le risque de faire éclater le mouvement. Alors que les trois documents de la CADC de Tizi Ouzou, de la CIC Béjaïa et celui de la Cccw Bouira n'ont aucunement fait consensus, leurs partisans ont fini par les imposer. C'est à partir de là que les opposants à cette démarche, qui vise la compromission avec le pouvoir, se sont démarqués en accusant les “dialoguistes” de s'éloigner de l'esprit politique de la plate-forme d'El-Kseur, puisque le document de mise en œuvre s'intéresse par exemple plus à la redynamisation de l'apiculture et à la revalorisation des terres agricoles ou à l'arboriculture de montagne qu'à autre chose. Le conclave de l'Interwilayas de Tizi Ouzou des 22 et 23 novembre a consacré définitivement la division des archs puisqu'il s'est tenu en l'absence de plusieurs coordinations locales, notamment celles qui ont pignon sur rue. Le concile de la division Cette démarche de vouloir aller au dialogue à tout prix semble obéir à un cahier des charges occulte. La réponse d'Ouyahia à l'ultimatum des archs “dialoguistes” a poussé ces derniers à faire des concessions, en passant à la trappe deux incidences considérées comme étant “l'âme du mouvement” — la révocation des “indus élus” et l'amnistie fiscale —, alors que les autres devaient être satisfaites avant le conclave de ce week-end. Ce qui n'a pas été fait. Et pourtant, les “conclavistes” d'Azib-Ahmed réitèrent encore leur disponibilité au dialogue, même s'ils constatent que “les représentants de l'Etat n'ont donné aucune suite officielle et concrète pour conforter leur profession de foi”, selon la déclaration finale. Finalement, les archs “dialoguistes” n'ont fait que supprimer l'ultimatum donné au gouvernement, qui semble bénéficier d'une sorte de période de grâce. Si Ouyahia doit répondre aux incidences quand bon lui semble, pourquoi alors lui avoir fixé un ultimatum, lequel a fait reculé les archs et non le pouvoir ? La concertation sur les deux incidences ne s'éloigne pas de la proposition du Chef du gouvernement qui a estimé que les incidences seront prises en charge dans le cadre du dialogue. Visiblement, les dialoguistes sont pris au piège et ils n'ont d'autre choix que d'aller vers ce dialogue qui arrange plus les affaires du pouvoir, qu'on ne qualifie plus de “maffieux et assassin”, que la Kabylie. Pourtant, le dialogue reste, dans le contexte actuel, une option non-consensuelle. Ce qui est à contre-courant des principes directeurs du mouvement citoyen. Mais voilà, les archs “dialoguistes” sont décidés à aller négocier une plate-forme qu'ils ont eux-mêmes décrétée “scellée et non négociable”, quitte pour ce faire à opérer un recul par concessions interposées. Devant l'échec des tentatives de réconciliation menées par les coordinations des Ouacifs, Béni Zmenzer et Aïn El-Hammam, à Tizi Ouzou, et la Coordination communale de Seddouk pour ce qui est de Béjaïa, l'aile “non-dialoguiste” des archs appréhende déjà l'après-dialogue, quand les “dialoguistes” reviendraient “les mains vides”, c'est-à-dire bredouilles. Parce que d'ici là le combat continuera. Et c'est dans cette perspective que s'inscrivait la démarche des “non-dialoguistes”. Hier, l'aile de la CADC de Mechtras était en réunion extraordinaire à Irdjen pour examiner la situation générale du mouvement citoyen. Les camarades de Ali Gherbi et de Zahir Benkhellat ne comptent pas baisser les bras. Puisque Ouyahia a réussi à faire imploser les archs à la veille de la présidentielle, tout porte à croire qu'il s'agit là l'un des objectifs de l'offre de dialogue lancée au mouvement citoyen dans un contexte bien choisi par le pouvoir. Un contexte favorable... aux couteaux tirés. Y. A.