Traqué impitoyablement depuis la chute de son régime au mois d'avril, Saddam Hussein, empereur déchu, a fini comme un vulgaire malfaiteur. Il a été cueilli dans son sommeil sans avoir, pour son honneur, tiré un dernier coup de feu. Sa fin a été obtenue grâce aux combattants de l'insoumis Kurdistan sur lequel le tyran avait pris l'habitude de tester ses nouvelles armes. Celui qui s'est voulu longtemps un héros conduisant les Arabes au triomphe a fini sans gloire aucune : non seulement il n'a pas opposé la résistance tant promise, mais il s'est aussi montré “coopératif” et “loquace” avec ceux qui l'ont capturé. En somme, tout ce qu'il faut pour se retrouver dans les poubelles de l'Histoire à l'instar d'autres tyrans et dictateurs. Pourvu que son exemple serve aussi d'avertissement à tous les apprentis-tyrans qui peuplent notamment le monde arabe. Le culte de personnalité grossièrement cultivé autour du “grand dirigeant”, supposé être une synthèse de Saladin, le libérateur de Jérusalem, et le légendaire Nabuchodonosor de Babylone, est tombé aussi rapidement que la conquête par les forces américaines de Bagdad “l'imprenable”. Même si sa fin a mis des mois pour se réaliser, l'image de sa chute, la défaite sans résistance de son armée tant vantée et la soudaine dégringolade du parti Baath, lié à la brutalité du régime, vont marquer à jamais l'histoire d'une vie tumultueuse. Saddam, né pauvre pour vivre plus tard dans de grands palais au confort extravagant, a défié les Etats-Unis, la grande puissance, plus d'une fois. Il en a payé le prix dans la défaite et l'humiliation, avec ses statues traînées dans la boue et ses portraits déchirés, maculés ou brûlés. L'homme qui, à 65 ans, s'est dit déterminé à mourir chez lui, a défié outrageusement ses ennemis ; celui qui transforme chaque défaite en une victoire et chaque désastre en une fête, a été pris sans avoir eu le temps d'organiser une dernière bataille. Saddam Hussein, qui a livré de 1980 à 1988 une guerre sanglante à l'Iran et subi la défaite de la guerre du Golfe (1991), avait l'art de la survie. Les Etats-Unis ont inondé Bagdad de bombes et de missiles en décembre 1998. D'autres missiles s'étaient abattus en 1996 et en 1993, le voyant à chaque fois refaire surface en criant victoire. Washington et Londres ont caressé l'espoir de le voir chassé par un soulèvement intérieur, mais l'homme a su sévir. Il a écrasé un soulèvement dans le Sud chiite et le Nord kurde dans la foulée de la guerre du Golfe, après s'être fait un nom, dans sa jeunesse, en tentant d'assassiner le président Abdel Karim Qassem en 1959. Blessé à la jambe, il a fui à l'étranger pour revenir, quatre ans plus tard, avant d'être jeté en prison en 1964. Il s'en échappe pour reprendre son action clandestine pour le compte du Baath. Il participe en 1968 au coup d'Etat qui a porté ce parti au pouvoir et qui marquera le début de son ascension jusqu'à devenir l'homme fort du régime du président Ahmed Hassan Al-Bakr. Secrétaire général adjoint du Baath, il devient en 1969 vice-président du Conseil de commandement de la révolution (CCR), plus haute instance dirigeante, et ne cesse de renforcer son pouvoir numéro un, le 16 juillet 1979 ; il cumule les postes de chef d'Etat, de secrétaire général du parti et de président du CCR. Saddam Hussein ne tolère aucune dissidence, multipliant les purges et envoyant ses opposants en exil ou au cimetière, son régime régnant par la cruauté. La délation est encouragée et les médias sont sous le contrôle de ce grand admirateur de Staline dont il apprenait par coeur les discours et dont il essayait de mimer les habitudes et même les poses photographiques. Sa plus grande erreur a été de ne pas se retirer du Koweït, envahi par son armée en août 1990, alors que les Etats-Unis et l'ex-URSS, alliée de Bagdad, entraient dans une ère de coopération sans précédent. En janvier 1991, il croit à un bluff quand les Etats-Unis, qui ont pris la tête d'une coalition multinationale, lui adressent un ultimatum expirant le 15 janvier pour quitter le Koweït. Un mois et demi plus tard, ses troupes sont chassées de l'émirat après une guerre éclair. Lors de la guerre Iran-Irak (1980-88), Saddam Hussein entretenait de bonnes relations avec l'Occident et les monarchies du Golfe, qui lui ont apporté un appui militaire et financier. En prenant le pouvoir, en juillet 1979, Saddam Hussein nourrit l'ambition de faire de son pays la première puissance militaire du Moyen-Orient et de devenir le leader du monde arabe. Il a fini par régner sur un pays exsangue aujourd'hui livré, à cause de sa mégalomanie, à une occupation étrangère. Formidable triomphe pour le grand chantre du nationalisme arabe qui a fini par tenter de courtiser vainement les intégristes. Pourvu que les peuples apprennent à se méfier désormais de tous les exaltés. N. B.