Dans cet entretien, le premier responsable de cette organisation professionnelle prévoit une flambée des prix des produits de large consommation, durant les premiers jours de Ramadhan et pointe du doigt les graves insuffisances dans l'organisation de la chaîne du commerce intérieur. “Liberté" : la Fédération nationale de protection des consommateurs a appelé depuis quelques jours au boycott des bouchers et volaillers et n'exclut pas d'étendre son mouvement à d'autres commerces. Quels commentaires faites-vous sur cette initiative ? Salah Souilah : Le problème de la régulation des circuits commerciaux dépasse une campagne de boycott des détaillants qui se situent en réalité au bout de la chaîne. C'est pourquoi en tant qu'Union des commerçants et artisans algériens nous considérons cette campagne de boycott inefficace car elle n'a et n'aura pas d'impact au milieu des populations. Elle est également improductive. À mon avis, cette fédération ne devrait pas appeler à ce type de boycott mais revendiquer, à la faveur de sa coordination avec le ministère du Commerce, de faire les vérifications auprès des importateurs de viandes et exiger davantage de rigueur dans le contrôle des importations au moins pour que nous sachions en tant que citoyens à quel prix ces viandes sont importées. Parmi les actions revendicatives que la fédération devrait mener figure celle imposant à ces importateurs des cahiers des charges rigoureux qu'ils s'engageraient à respecter. Je ne parle pas là des aspects liés à l'hygiène et la sécurité alimentaire de ces viandes mais de la nécessaire mise en place d'une traçabilité du circuit commercial de la viande importée. Il n'est pas normal qu'un produit importé transite par quatre ou cinq mains avant d'arriver chez le détaillant. Il faut aussi que nous puissions savoir les marges pratiquées entre d'une part l'importateur et le grossiste et, d'autre part, entre le grossiste et le détaillant. En somme, j'appelle nos frères de la fédération des consommateurs à revoir cette position. Peut-être que le boycott reste une initiative discutable mais il a le mérite de mettre sur le tapis à la veille du mois de Ramadhan le problème des marges commerciales. Qu'en est-il de cet aspect ? C'est vrai qu'il nous est arrivé de constater des marges qui peuvent atteindre les 100% en une seule transaction entre le grossiste et le détaillant. Vous le savez très bien, les prix sont libres sauf pour les produits de première nécessité subventionnés sur budget de l'Etat comme l'huile, le sucre, le carburant...Il y a, cependant, des produits tout aussi nécessaires dont les prix ne sont pas réglementés. C'est pourquoi, l'UGCAA appelle à la révision de cette loi pour plafonner les prix d'autres produits à l'exemple des viandes importés et fixer des limites aux marges bénéficiaires de chacun des intervenants dans la chaÎne d'approvisionnement, de l'importateur au détaillant en passant par les grossistes. C'est de la sorte que les prix vont baisser. Nous avons des informations faisant état d'opérations d'importation de viandes d'Espagne notamment ovines interdites les années précédentes. D'après nos informations, les prix devraient reculer aux alentours des 800 DA/kg au lieu des 1 200 DA actuellement en vigueur. À la veille de chaque Ramadhan ressurgit le problème de l'approvisionnement du marché. Vous attendez-vous à des améliorations cette année ? D'après ce que nous observons, nous pouvons affirmer d'ores et déjà que cette année sera semblable aux précédentes. Nous constatons déjà un début d'augmentation des prix et nous nous attendons à ce que cela se poursuive au cours de la première semaine du mois sacré. Ce n'est qu'à partir de la deuxième semaine que les choses redeviendront à peu près normales. À deux jours de l'Aïd, il faut s'attendre à une nouvelle flambée des prix, cette fois-ci non pas due à la pénurie des produits mais à cause des stockages en quantités importantes qu'effectuent les commerçants aussi bien légaux que ceux dans l'activité parallèle pour ensuite faire de la spéculation sur les marchés. Il y a lieu de noter, également, les achats excessifs de la part d'une frange des consommateurs. C'est sur ce point précis que nous aurions souhaité voir la fédération de protection des consommateurs contribuer à la sensibilisation de nos concitoyens pour la rationalisation de la consommation qui est un élément qui contribue à la baisse puis à la stabilisation des prix dans le sens où le commerçant se retrouvant avec des volumes importants de marchandises se voit dans l'obligation de baisser ses prix pour écouler les produits. À combien prévoyez-vous cette inflation des prix ? Nous nous attendons à une envolée des prix comprise entre 15 et 20%. Le reste de l'année aussi se caractérise par ce que vous décrivez là de la relation entre la disponibilité des produits et les niveaux des prix. Pour notre part, nous avons revendiqué que le fellah fasse accompagner sa marchandise par un papier indiquant le prix lorsqu'il vend à un grossiste et pareillement du grossiste vers le détaillant. C'est tout simplement un appel à l'usage de la facturation ? Aujourd'hui rien de formalisé n'existe. Nous avons évité de parler de facturation pour ne pas faire peur aux fellahs avec les idées reçues sur la facturation, la TVA, le contrôle des services des impôts... Nous avons juste demandé qu'il y ait un document qui n'aura rien d'officiel reprenant une traçabilité des prix et des quantités d'un maillon à un autre de la chaîne commerciale. Le ministère du Commerce doit aussi jouer son rôle et intervenir dans la relation entre le fellah et le grossiste et non pas aller contrôler le commerçant final dans un marché où la liberté des prix fait règle. De votre côté, ne pouvez-vous pas appeler les grossistes et les détaillants, du moins ceux parmi vos adhérents, à rogner sur leurs marges ? Nous avons réuni la semaine dernière les secrétaires de wilayas de notre organisation et les avons sensibilisés sur cette question. Des instructions ont été données pour que les secrétaires de wilaya aillent à la rencontre des adhérents des différentes fédérations sous notre bannière pour les appeler à pratiquer des prix et des marges raisonnables. Actuellement, le nombre d'adhérents dépassent les 100 000 commerçants et artisans. Les grossistes ont observé un sit-in devant le ministère du Commerce. Que demandent-ils ? La Fédération des commerçants grossistes des fruits et légumes affiliée à l'UGCAA a initié cette action pour dénoncer l'anarchie et la désorganisation dans laquelle exercent ses membres. Les locataires des marchés de gros imposent leur diktat et décident sans préavis des augmentations inimaginables des loyers qui se répercutent inévitablement sur les prix finaux. Les grossistes veulent que la gestion des marchés de gros revienne à la nouvelle société nationale qui vient d'être créée par le ministère du Commerce. Vous abordez le problème des marchés de gros et de détail. Où en est-on sur ce dossier ? S'agissant de la question des marchés, l'UGCAA avait demandé à la présidence de la République et au gouvernement d'impulser une dynamique de création de marchés de gros et de détail ainsi que des marchés de proximité. La présidence et la primature ont répondu favorablement à notre requête et ont instruit le ministère du Commerce pour mener le projet à terme. L'instruction présidentielle donnait ordre de créer 800 marchés de détail et plus de 50 marchés de gros. Depuis, nous avons pris attache avec le ministère du Commerce pour connaître l'état d'avancement de la réalisation. Cela fait bientôt trois années qu'on nous donne la même réponse selon laquelle ces marchés sont en cours d'études. Là je m'interroge : combien de temps faut-il pour mener ces études? À ce jour aucun marché n'a été livré. C'est aussi l'un des facteurs de flambée des prix et de prospérité du commerce parallèle. En l'absence d'espaces bien définis, vous vous retrouvez avec une multiplication de commerces illégaux. Qu'est-ce qui empêche selon vous la concrétisation de ce projet ? En toute franchise, je pense que ce projet de réalisation de marchés a été définitivement abandonné. Le ministère du Commerce n'en parle plus et nous le sentons moins motivé qu'auparavant pour avancer sur ce dossier. Nous voyons de plus en plus émerger des cités avec des milliers de nouveaux logements sans que cela s'accompagne d'infrastructures commerciales. Cela contraint le citoyen à faire des kilomètres très souvent en dehors du territoire de sa commune de résidence pour s'approvisionner. Les chiffres de l'UGCAA 43 marchés de gros sont recensés sur l'ensemble du territoire national Il existe 700 marchés de détail pour 1541 communes, soit moins d'un APC sur deux en est dépourvue Au cours du mois de Ramadhan, le commerce parallèle pourrait évoluer de 30% Durant le même mois, les Algériens achèteront quelque 1 milliard 200 millions de baguettes de pain Ils consommeront l'équivalent de 65 milliards de dinars de viandes et 4,5 milliards de dinars d'œufs. Ils boiront sous diverses formes plus de 120 millions de litres de lait Le taux de gaspillage attendu sera de l'ordre de 5% L'Algérie produit 600 000 tonnes de viandes rouges par an pour des besoins estimés à 1 million de tonnes par an, soit un déficit de 40%.