La Commission nationale consultative a estimé que l'emploi de la force contre des manifestants pacifiques ne saurait être justifié ni toléré. Près de cinq mois après sa rédaction et l'envoi d'une copie au président de la République, le contenu du dernier rapport annuel de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (Cncppdh) est enfin rendu public. L'institution, présidée par Me Farouk Ksentini, est critique envers l'état des droits de l'Homme en Algérie, le qualifiant carrément de “peu reluisant". La Cncppdh a même reconnu que les droits politiques et civils, mais également les droits économiques, sociaux et culturels, font l'objet “quotidiennement de revendications". Pour les membres de cette commission, les manifestations ayant eu lieu au cours de l'année 2011 exigeaient un certain nombre de droits, notamment le droit à “la vie décente", celui à “une justice équitable", l'accès aux soins, la prise en charge sanitaire et le droit au logement, ainsi que le droit à l'enseignement, le droit syndical, le droit au travail, le droit à la liberté d'opinion et celui à la sécurité de soi-même et de ses biens. Sur bien des dossiers examinés, le constat de la Cncppdh rejoint celui établi, en juin dernier, par le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, en particulier sur les restrictions qui pèsent sur la vie publique et privée, de même que sur les aspects relatifs à la condition féminine. La structure de Me Ksentini n'a pas été tendre avec les autorités publiques, en ce qui concerne “les manifestations pacifiques" des hospitalo-universitaires, des résidents et des gardes communaux, leur reprochant d'avoir “exacerbé des situations" et d'avoir fait appel à une intervention musclée des forces de l'ordre “contre des praticiens de la santé et des hommes qui ont défendu la République, en appoint avec les forces de l'Armée nationale populaire et des services de sécurité, contre le terrorisme". Même si la force doit rester à la loi, la Commission nationale consultative a estimé que l'emploi de la force contre des manifestants pacifiques ne saurait être justifié ni toléré. Manifestations, émeutes et protestations Le volet social occupe une bonne place dans le rapport de la Cncppdh. En effet, celui-ci s'est penché sur les contestations sociales et les problèmes liés au malaise local. Le rapport rappelle que l'Algérie a connu, durant l'année 2011, une flambée des prix de certains produits alimentaires de large consommation, provoquant “une vague de protestations sporadiques et intempestives, d'émeutes et de manifestations" qui ont gagné “rapidement" plusieurs régions du pays. La commission de Ksentini a, cependant, réfuté la comparaison avec les pays ayant renoué avec le Printemps arabe et, de façon indirecte, a contesté l'effet boule de neige de ces “révoltes populaires" qui ont entraîné “des changements politiques importants". Pour la Cncppdh, le mouvement de contestation en Algérie a pris “des proportions socioéconomiques moins importantes". De plus, elle a relevé qu'en général les citoyens recourent à la voie publique afin d'“attirer l'attention des pouvoirs publics et les interpeller sur leurs préoccupations". D'ailleurs, les rédacteurs du rapport ont observé que les réponses positives apportées par l'administration à certaines revendications “arrivent parfois à calmer la situation". Cependant, ils ont pointé du doigt “certains responsables de l'administration" qui, par leurs promesses non tenues, alimentent un sentiment de méfiance, voire de frustration, chez les citoyens qui se sentent alors “méprisés" et victimes de la hogra. Sur le registre “des dénominateurs communs" qui poussent les administrés à l'émeute et à sortir dans la rue, la Cncppdh a rappelé qu'il s'agit de “problèmes socioéconomiques récurrents", citant, entre autres, la cherté de la vie (malvie), la question des salaires, celle de la distribution des logements, le cadre de vie dépourvu des infrastructures de base (écoles, centres de santé, centres socioéducatifs, aires de jeux, espaces verts...) et le problème du chômage. Sans oublier les tensions suscitées par la bureaucratie, la problématique de la maltraitance des enfants et les carences en matière de promotion et de protection des personnes âgées et handicapées. Concernant les violences faites aux femmes, l'institution de Me Ksentini a dénoncé “la non-affectation d'un budget spécifique" au ministère délégué chargé de la Famille et de la Condition féminine. Enfin, la Cncppdh a examiné les cas des harragas, de la garde à vue et des disparus. Sur ce dernier point, elle a invité les pouvoirs publics à instaurer “un dialogue" avec les familles des disparus, “loin de toute surenchère ou exploitation politique", à leur donner “toutes les explications nécessaires" à leurs interrogations et à leur apporter “aide et assistance". Analyse des questions politiques Dans son dernier rapport, la Cncppdh s'est également penchée sur d'autres dossiers, notamment les questions relatives à la consécration de l'Etat de droit, qui devrait être “le reflet de la démocratie et son corollaire la primauté du droit". Dans cette partie, il est fait insistance sur la lutte contre la corruption et la lutte contre la bureaucratie. Pour ce qui est de la levée de l'état d'urgence, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme a signalé l'omission, au niveau de l'ordonnance n°11-03 du 23 février 2011 portant participation de l'ANP à des missions de sauvegarde de l'ordre public hors des situations d'exception, de préciser “l'autorité civile" habilitée à recourir ou non à l'Armée nationale. Elle a fait cas des questions soulevées par la promulgation de l'état d'urgence par une ordonnance et qui ont donc entraîné des trous, quant à la conformité à la Constitution (absence d'un décret présidentiel, inexistence d'une loi organique permettant au Parlement le recours en matière d'organisation de l'état d'urgence, etc.). À propos des lois sur les réformes, la commission présidée par Me Ksentini a inscrit un certain nombre de remarques. Ainsi, elle a déploré que la loi relative au régime électoral n'ait pas consacré “la neutralité de l'administration", tout en s'interrogeant sur les raisons du foisonnement de commissions (commission de supervision des élections, commission nationale de contrôle des élections, en plus du Conseil constitutionnel), qui est “en contradiction avec la Constitution". Par ailleurs, la Cncppdh a fait part des questionnements suscités par certains articles de cette loi. Quant au code de l'information, le rapport a relevé qu'il est loin de répondre aux “exigences internationales" en matière de liberté d'expression et qu'il reste silencieux sur l'accès à l'information, le rôle de la publicité, l'ouverture de l'audiovisuel et celui des médias publics à “toutes les sensibilités politiques et sociales". Concernant la loi sur les associations, il est noté “une certaine prudence ou rigueur" envers elles, voire le risque d'entraver “l'indépendance" des associations. Pour la Cncppdh, il semblerait que ces lois n'ont pas obtenu “la satisfaction" du président Bouteflika.