En français, le mot “index" signifie le doigt qui indique. Il montre, avertit ou même accuse. Le même doigt en arabe est appelé “sabbaba", dérivé du verbe “sabba", c'est-à-dire insulter. C'est cela que j'avais senti l'année passée, en suivant le premier discours de Saïf El Islam, fils de l'ancien “guide" de la révolution libyenne, quelques jours avant l'intervention de l'Otan qui a sauvé les villes de l'Est libyen, Benghazi, El-Beïda, Derna et Tobrouk, du même sort de la ville syrienne de Hammat, en 1982. Le mouvement de l'index du fiston ne pouvait tromper que les naïfs qui ne comprennent pas le langage des doigts, parfois grossier et mal élevé. À l'époque, j'ai été parmi la minorité qui a accueilli favorablement l'intervention occidentale, bien que ça m'ait fait mal au cœur d'applaudir un acte de l'ancien président français. En effet, le bombardement de la Libye nous a rappelé le rôle criminel de l'Otan contre la révolution algérienne. C'est cela qui justifie, même en partie, la réaction négative des nationalistes algériens à l'égard de cette intervention. Mais, en politique, le mot “pérennité" n'existe pas. Il pouvait être synonyme d'une paralysie morbide plutôt qu'une stabilité dynamique. L'adversaire d'hier pouvait devenir, éventuellement, l'allié de demain. Seul élément à prendre en considération par un décideur, c'est l'intérêt supérieur de la nation et les obligations conjoncturelles d'un moment précis. Je me suis rappelé tout cela en suivant le drame que vit le peuple syrien. Une comptabilité sinistre s'est imposée. Le nombre de Syriens tués par l'armée israélienne depuis quarante ans est infime par rapport au nombre de Syriens massacrés par l'armée, supposée être là pour les protéger, en moins de quarante semaines. Le nombre de militaires israéliens tués par l'armée syrienne au cours des quarante ans passés est moins que le millième (1/1000) de civils syriens tués par la même armée en moins de quarante mois. Les attaques de l'aviation syrienne contre des objectifs militaires israéliens, à comparer à ses attaques de la population syrienne, est de “0" contre des dizaines de survols meurtriers des Mig 21 et des Soukhoï russes, des Albatros-39 tchèques, ainsi que des hélicoptères de combat. Une armada d'avions qui n'a jamais servi contre l'ennemi du monde arabe. Ne parlons pas du survol des avions israéliens en permanence de la Syrie, même au-dessus du palais présidentiel et bombardant des installations militaires de la citadelle de la résistance arabe, comme appelée par le régime de Damas. La Syrie était vraiment une citadelle du nationalisme arabe, mais elle ne l'est plus quand son président s'est permis de massacrer son peuple, qui n'a fait que demander un peu de liberté, et un minimum du respect de sa dignité d'être humain. Mais malheureusement, le régime baathiste a, depuis sa prise du pouvoir après la chute de l'unité en 1961, représenté tout ce qui est dégradant pour un pays considéré jadis comme une avant-garde révolutionnaire. C'est affligeant d'avouer que nous n'avons pas pris au sérieux un message pertinent et percutant dans la fameuse pièce théâtrale “Kassak ya watan" (à ta santé, patrie) de Doreid Lahame, qui avait, dans les années soixante-dix, exposé, sous forme humoristique, la répression politique de régime syrien et son mépris des droits légitimes du citoyen. Le geôlier a demandé au prisonnier de lever ses pieds (pour recevoir les coups) et celui-ci cria : “Mais ‘sayyedi' (monseigneur), dans le journal, j'ai lu qu'on devait lever la tête, pas les pieds." Nous avions rigolé à l'époque, mais il fallait mieux pleurer, surtout quand on passe en revue, a posteriori, les soi-disant “réalisations patriotiques" du régime. L'anecdote racontée par les Syriens sur la chute des villes du Golan en 1967 est révélatrice. On dit que des soldats syriens ont reçu l'ordre de quitter immédiatement leurs positions de la région protégée par des fortifications, considérées à l'époque comme supérieures au blocus de la ligne Maginot. Un soldat, syrien bien sûr, demanda à son supérieur la permission de quelques minutes pour qu'il puisse ramasser ses affaires. L'officier, certainement baathiste, rétorqua avec une gravité sans appel : “J'ai dit immédiatement, c'est-à-dire tout de suite." Le soldat, exaspéré, répond : “Mais mon lieutenant, vous avez vendu la région, nos affaires y compris." J'ai dit, et je le répète, ce qui se passe en Syrie est un génocide volontaire et bien programmé contre la majorité sunnite par une secte qui défend son hégémonie non justifiée, ni par le rendement national ni par le pourcentage démographique. Je crains que l'avenir des alaouites en Syrie, qui représentent seulement dix pour cent de la population, soit compromis, s'ils n'arrivent pas à se débarrasser, à temps, du responsable d'une situation qui se rapproche, jour après jour, d'une guerre civile, désastreuse pour tout le monde. Toute aide à Béchar El-Assad signifie des morts, encore des morts, et surtout la destruction d'une puissance arabe, qui serait appelée, un jour, à participer à la défense de la nation contre l'expansionnisme israélien. Cela pourrait être une raison, parmi d'autres, de l'hésitation des Américains et de la timidité des pays occidentaux, alliés stratégiques de l'entité sioniste. Comme Shylock dans “le Marchand de Venise" de l'Anglais Charles Dickens, le nouveau tsar se frotte les mains, se préparant à récolter les fruits, mais je pense que la gifle ne tardera pas. M. A.