“Nous n'avons reçu ni aide, ni tentes, ni couvertures, nous vivons un véritable drame, comme si nous n'étions pas des Algériens, et cette situation dure depuis le 10 décembre 2012." Alors que le calvaire se poursuit pour les 20 familles chassées depuis 40 jours de leurs domiciles qu'elles habitaient depuis 1958 au niveau du site Hahel, dans la commune de Boumerdès, on vient d'apprendre que les services des Domaines de la wilaya qui, jusque-là, ont brillé par leur attentisme dans cette affaire, s'apprêtent enfin à se porter partie civile pour annuler la décision de justice n° 288 en date du 16/09/2006, émanant de la cour de Tizi Ouzou, qui donne gain de cause aux propriétaires privés de jouir de la parcelle n°635 sur laquelle sont érigées les habitations des familles expulsées. Or, selon les documents du ministère des Finances et de la wilaya et dont nous détenons des copies, cette parcelle, d'une superficie de 71 ares, qui fait partie de la parcelle n° 636 d'une superficie de 29,01ha, a toujours appartenu à l'EAC n°2 Kountar Rabah. Elle a été versée en 2003 à l'Agence foncière de Boumerdès pour en faire un lotissement destiné à la résorption de l'habitat précaire, notamment pour les 20 familles expulsées. Bien que tous les documents étaient réunis, l'avocat des familles et de nombreux autres responsables que nous avons interrogés, ont exprimé leur étonnement face à l'attitude et aux atermoiements observés par la direction des Domaines à saisir la justice au moment où les mêmes propriétaires, visiblement encouragés par une telle attitude, ont ,cette fois-ci exigé plus de 350 ha, soit le tiers des terres de la commune de Boumerdès qu'ils considèrent comme leur propriété. L'affaire est pendante au niveau du Conseil d'Etat mais cela n'a pas empêché les propriétaires de saisir la justice pour bloquer la construction de 300 logements LPA, un CFPA et des structures appartenant au ministère de la Justice. Ainsi, les familles expulsées, en voulant défendre leur cause et protéger les biens de l'Etat et de la collectivité, se sont senties seules. Elles ne comprennent pas pourquoi les services des Domaines ont tardé à porter plainte et surtout à demander l'établissement du livre foncier de la parcelle n°635. En effet, ce n'est que le 10 janvier que les services de la Conservation foncière ont reçu une demande en ce sens. Pis encore, lors de la sortie, sur instruction du wali, de la commission de wilaya sur les lieux en date du 10/12/2012, toutes les administrations étaient représentées sauf la Conservation foncière. Soit le service le plus important dans de telles affaires. En effet, le conservateur foncier n'a pas été convoqué pour appuyer la décision de cette commission qui a jugé à l'unanimité que la parcelle objet du litige est bien la propriété de l'Etat. Bizarrement, la commission s'est contentée de conclure dans son rapport, dont nous détenons une copie, que la parcelle n°635 appartient bel et bien à l'Etat mais la mention «sous réserve de la confirmation du conservateur foncier» laisse perplexe. Comme si ce dernier résidait à Londres ou à Tunis alors que ses bureaux se situent à quelques mètres du siège des Domaines. Par ailleurs, l'avocat, maître Toumi, qui s'est porté volontaire pour défendre ces familles, s'est interrogé sur la décision de justice n° 93/09 du 09/06/1993 qui ne précise pas que les familles habitent des logements. “La décision parle de parcelle de terrain, or ces familles occupaient bel et bien des maisons anciennes datant de l'époque coloniale, en plus, il y avait une action en référé pour empêcher cette expulsion, sans parler que des membres des familles qui réclament le terrain sont déjà décédées", affirme Me Toumi, qui évoque des vices de procédure ayant entaché cette décision d'expulsion, jugée par de nombreux citoyens inhumaine puisqu'elle a été entreprise en plein hiver et sous un froid glacial. Plus de 12 enfants sont encore traumatisés, certains vont porter des séquelles pendant toute leur vie, compte tenu des conditions dans laquelle s'est déroulée l'opération d'expulsion à laquelle ont participé plus de 100 gendarmes. Pour sa part, le procureur adjoint près la cour de Boumerdès nous a affirmé qu'aucun autre élément nouveau n'a été apporté au dossier et que la décision d'expulsion est toujours en vigueur. “Je sais que des actions en référé ont été entreprises par ces familles par le biais de leur avocat au niveau du tribunal de Boumerdès mais, pour le moment, la justice suit son cours", a-t-il précisé. En attendant que les services des Domaines, les premiers concernés dans cette affaire, se décident concrètement à protéger les biens de l'Etat et empêcher le blocage du programme économique du président de la République, les 20 familles qui occupent la parcelle 635 continuent de souffrir. “Nous n'avons pas reçu d'aides ni de tentes ni de couvertures, nous vivons un véritable drame si comme nous n'étions pas des Algériens, et cette situation dure depuis le 10 décembre 2012", affirment ces familles qui ont bravé hier encore la pluie et le vent et qui refusent l'exploitation de leur drame à des fins politiques. “Pour le moment, seul le secrétaire général de la wilaya continue de nous recevoir mais une hirondelle ne fait pas le printemps", affirme Bounous Omar, l'un des représentants des familles expulsées. M. T.