Chokri Belaïd, figure emblématique de l'opposition tunisienne, est assassiné, un certain 6 février 2013, au sortir de son domicile par plusieurs balles à la tête. En cet ingrat mois de février, la Tunisie perd un de ses valeureux fils, mais se découvre un nouveau martyr de la démocratie. Avocat brillant. Il avait étudié le droit, d'abord en Irak puis en France où il poursuivit un troisième cycle à l'université Paris VIIl. Chokri s'était imprégné très tôt des idées de liberté et de démocratie. Son engagement lui a valu, dès l'âge de 22 ans, la répression du régime de Bourguiba assortie, en avril 1987, d'un séjour dans une prison du sud du pays. Avec sa moustache drue surplombant majestueusement une discrète bouche qu'abrite une voix rugueuse et son légendaire béret qui dénote avec la solennité de la robe d'avocat, Chokri savait plaider tant il utilisait un langage clair à même de persuader et de convaincre. Son discours juridique était pertinent et clairvoyant. Sa parole était créatrice tant elle faisait exister ce qu'elle énonce, comme le souligne Bourdieu dans Ce que parler veut dire. C'est grâce à ses armes façonnées par le parfait sens du mot et la puissance de la parole que Chokri avait su mettre son savoir et son engagement au profit de la défense des militants de l'opposition traqués par la police de Ben Ali. Les témoignages de ses confrères mettaient en relief la rigueur de ses plaidoiries et la forte conviction de ses idées. Sa seule présence suffisait à rassurer les prévenus lors des procès concoctés savamment par la justice du pouvoir d'alors. Dès le déclenchement de la révolution sanctifiée par le suicide du jeune Bouazizi, Chokri était à l'avant-garde du combat des avocats tunisiens pour l'instauration de la démocratie et l'avènement des libertés. Son engagement s'intensifia au lendemain de la révolution. Il devint membre de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique créée en mars 2011 et présidée par Yadh Achour. Il dirige en mars 2011 le mouvement des patriotes démocrates, issu de la fusion avec le Parti du travail patriotique et démocratique. Pourfendeur des islamistes qui le craignaient à cause de la verve de son verbe et la détermination de ses convictions, Chokri dénonçait la violence et croyait au rêve démocratique de la Tunisie, havre du pacifisme et de la sérénité. À la veille de son lâche assassinat, Belaïd lançait un appel pour une conférence contre la violence. Il ne savait pas qu'il en serait la première victime. L'assassinat de Chokri Belaïd est un acte criminel odieux qui enfonce la Tunisie dans une spirale de violence telle que notre pays a connue. La Tunisie, qui nous a fermement soutenus lors de la guerre d'Indépendance, en payant le prix un certain 8 février 1958 lors du bombardement du village de Sakiet Sidi-Youcef, mérite notre solidarité, non seulement par reconnaissance mais parce que nous sommes les premiers à en être les victimes et savons mieux que quiconque ce qu'est la violence et ses méfaits dans l'assassinat de la liberté et l'étouffement de l'espoir démocratique. Me Khaled BOURAYOU