Ennahda ne fait que s'enfoncer dans les profondeurs. Son double langage est la principale cause qui lui fait perdre du terrain. Encore une fois, Ghannouchi, leader du parti, a été versatile lors de son discours qu'il a adressé à ses sympathisants au cours de la manifestation organisée à Tunis. D'abord, le chef du parti a une nouvelle fois assuré qu'il n'est pas près de lâcher le pouvoir. Alors que les tractations pour la formation d'un nouveau gouvernement s'éternisent et que le pays vit sa pire crise politique depuis la révolution. Ensuite, il se rétracte deux fois de suite en une semaine pour s'opposer à l'idée de former un cabinet de technocrates après avoir pourtant soutenu la proposition de Jebali. Jugeant le moment inopportun de parler des dissensions qui rongent son parti, Ghannouchi s'est plutôt contenté d'annoncer à la foule : “Rassurez-vous, Ennahda se porte bien (...) et ne cèdera jamais le pouvoir tant qu'il bénéficie de la confiance du peuple et de la légitimité des urnes." Le dirigeant islamiste a clamé cela à la fin d'une manifestation de ses partisans sur l'avenue Bourguiba, dans le centre de Tunis. Et d'enchaîner : “Ennahda fait l'objet depuis son arrivée au pouvoir, il y a un peu plus d'un an, d'une série de complots qui ont culminé avec la proposition d'un gouvernement de technocrates (...) ce qui équivaut à un coup d'Etat contre le gouvernement élu." Comme toute manifestation du parti Ennahda, on se défoule bien évidemment sur les médias, accusés de tous les maux, à coups de slogans et de discours. Comme à son habitude, Ghannouchi a imputé à l'opposition et aux médias le chaos du pays ; les slogans assimilaient “Nidaa Tounès", formation de Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre, à une émanation du parti de Ben Ali, dissous en mars 2011, et revendiquaient l'islamité du peuple ainsi que l'adoption de la charia. Le message de Rached Ghannouchi est clair : “Il n'est pas question d'un gouvernement de technocrates non partisans ; seul un gouvernement politique avalisé par l'Assemblée nationale constituante (ANC) est acceptable." Il désavoue ainsi publiquement l'initiative de Hamadi Jebali qui est également secrétaire général d'Ennahda. Le radicalisme de Ghannouchi étonne d'autant plus que durant la première phase de négociations pour un nouveau gouvernement, le 15 février, il était tout sourire avec ceux qu'ils désigne aujourd'hui comme des fauteurs de troubles. La mobilisation spontanée et citoyenne de 1 400 000 Tunisiens le jour des funérailles de Chokri Belaïd, le 8 février, et l'initiative unilatérale de Hamadi Jebali de réunir une équipe de technocrates pour gérer les affaires du pays jusqu'aux élections ont ébranlé les islamistes. Une secousse menaçant leur unité à laquelle ils ont répondu par la contre-manifestation de samedi, dont le temps fort a été le discours de Rached Ghannouchi. Indiscutablement, celui-ci s'est positionné comme le leader du mouvement islamiste, toutes tendances confondues. I. O.